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Bunagana, Butembo, Djugu : Pourquoi l’hydre de l’insécurité ne capitule -t-elle pas ?

Il ne se passe plus une semaine sans que l’on ne compte des morts dans les provinces orientales de la RDC. Les deux Kivu et l’Ituri, ventre mou du Congo, en termes de sécurité, connait un temps sombre depuis plus de 25 ans. Plusieurs stratégies ont été mises en place pour juguler le mal. Dans une sorte de variation sinusoïdale, la violence connait un regain inquiétant. Trois cités concentrent un grand nombre des morts depuis un mois. Décryptage d’une triptyque avec un cycle de violence inouïe_

Près de 100 personnes ont été tuées dans les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et de l’Ituri. Ces victimes sont tombées, aussi bien dans les manifestations anti Monusco, de fin du mois de juillet que dans les attaques des groupes armés contre la population civile et contre les militaires et policiers. La semaine s’est terminée avec le drame de Butembo où, selon le gouvernement congolais, « il y a un regain de violence contre la Monusco ». Mais ce sont des policiers et militaires congolais qui ont été tués (4 policiers et 1 militaire) par « des présumés Maï Maï et d’autres inciviques ».

Dans la même ville, plus de 800 prisonniers se sont évadés de la prison, à l’issue d’une attaque perpétrée par les terroristes d’ADF, selon les autorités militaires, qui ont affirmé que l’attaque avait pour mobile de libérer des ADF emprisonnés et de procéder au recrutement dans le rang de ce mouvement terroriste.

C’est dans ce contexte de regain de violence que la cité de Bunagana entame son troisième mois sous la coupe des terroristes du M 23. A cette triste occasion, Géopolis Hebdo se demande pourquoi à mesure que les opérations militaires s’intensifient dans le Kivu, l’insécurité va crescendo ?

Nous focalisons donc notre attention sur les grands points d’insécurité en essayant d’analyser pourquoi l’insécurité ne capitule pas.

Bunagana, entame son troisième mois sous occupation

L’émotion et la mobilisation générale qui étaient constatées au lendemain de la prise, par les rebelles, de Bunagana, cette cité du territoire de Rutshuru, à la frontière avec l’Ouganda, ont retombé dans l’opinion nationale, alors que depuis ce 14 août,

Bunagana entame déjà son troisième mois sous l’occupation du M 23. Plusieurs villages du groupement de Jomba dans le territoire de Rutshuru, dans l’est de la République démocratique du Congo, sont aussi occupés par les rebelles du Mouvement du 23 mars .

Deux mois de dures souffrances pour la population locale. 90% des habitants sont d’ailleurs partis, et vivent dans des camps de réfugiés en Ouganda ou des centres de recueillement dans la province du Nord-Kivu. Ceux qui sont restés ou y sont retournés vivent des jours difficiles. Près d’un million des Congolais ont fui leurs villages depuis le début de cette année, selon l’ONU. Ce qui ne fait qu’ajouter au chiffre déjà triste de plus de 5 millions des déplacés Congolais à l’intérieur du pays et à l’étranger.

Il y a peu de monde dans cette cité occupée. Une petite poignée de familles seulement, une centaine, ont accepté de retourner dans la cité pour vivre en cohabitation avec les rebelles.
Le centre de la ville est occupé principalement par des combattants du M23 et leurs familles. Les ménages qui ont accepté de revenir sont tous concentrés dans trois quartiers : Kanyabihango, Karere et Kibaya. La peur est visible sur les visages.

Les personnes rencontrées hésitent à témoigner, par peur de représailles, selon le témoignage de quelques rares journalistes qui ont réussi à aller prendre le pouls de la cité sous la coupe du M23.

« Nous vivons dans de mauvaises conditions. Celui qui vit ici doit avoir un cœur dur et être prêt à tout endurer. Ici, il y a des gens qui sont battus, et d’autres enfermés dans des prisons. Il y a une prison, à côté d’une église.

Si vous essayez de passer à côté de celle-ci, vous pouvez entendre des gens pleurer. Même trouver de l’eau est très compliqué. Nous achetons un bidon pour 2.000 shillings », « raconte Paul Nyiyetenga, revenu il y a un mois et qui finit par accepter de s’exprimer », rapporte la radio allemande DW.
Senzige Justine, mère de cinq enfants, n’arrive d’ailleurs plus à nourrir sa famille. Elle a peur d’aller au champ.

« Nous avons peur d’aller au champ, car il y a des cas de viols qui sont couramment signalés. Quand nous restons à la maison, nous ne pouvons pas trouver de nourriture car nous ne pouvons pas aller au champ. Certaines d’entre nous bravent la peur pour aller au champ en groupes de deux ou trois femmes. Je demande au gouvernement de nous aider car nous souffrons et il est très difficile de se soigner en cas de maladie », confie cette femme.

La société civile locale dénonce l’inaction des autorités congolaises et de l’armée, qui n’attendent que les attaques du M23 pour riposter.

Kambere Mbula est le coordinateur adjoint de la nouvelle société civile du territoire de Rutshuru. Il confirme le sentiment d’abandon.

« Bon nombre d’habitants de la cité de Bunagana ont fui vers l’Ouganda, voyant la souffrance que la population traverse. Ils sont obligés de partir. Nous déplorons le fait de voir qu’il n’y a pas des actions sérieuses pour mettre fin à cette rébellion ».

Les groupes de défense des droits de l’homme accusent les rebelles du M23 d’être à l’origine de plusieurs cas de pillage de centres de santé, de maisons et de commerces, d’enlèvements et même de torture de civils dans les zones qu’ils contrôlent depuis novembre 2021. Le M 23 a tué au moins 29 civils depuis la mi-juin 2022 dans les zones qu’il contrôle dans l’est de la République démocratique du Congo, a déclaré Human Rights Watch. L’ONG ajoute que, « une semaine après la prise de Bunagana par les rebelles, à la suite de combats autour du village de Ruvumu, les rebelles du M23 ont sommairement tué au moins 17 civils, dont deux adolescents, qu’ils accusaient d’avoir informé l’armée congolaise de leurs positions et cachettes. Certains ont été abattus alors qu’ils tentaient de fuir, tandis que d’autres ont été exécutés à bout portant ».
Les rebelles sont même accusés d’exploiter les ressources naturelles dans la région de façon illégale.

Butembo, de tueurs « invisibles » visent les forces armées

Depuis les manifestations contre la présence de la Monusco à Butembo, cette cité du Nord-Kivu vit dans une grande insécurité. Il y a d’abord eu une évasion spectaculaire à la prison de Kakwangura au milieu de la semaine dernière. 874 détenus se sont évadés. L’opération a été un coup des terroristes d’ADF, selon l’armée congolaise. L’opération a coûté la vie à deux éléments de la police, commis à la garde de la prison. Les autorités militaires ont estimé que l’opération a été menée par au moins 80 ADF. Il y a quelques semaines les autorités congolaises avaient pourtant assuré que ces terroristes d’origine ougandaise, ne comptaient plus qu’autour de 100 combattants et qu’ils n’agissaient plus qu’en petits groupes. Comment expliquer alors une opération d’une telle envergure ? D’après un journal de Kampala, dans le combat contre les ADF, l’armée Ougandaise avait mis la main (il y a quelques mois) sur un document retrouvé dans un camp déserté des terroristes, et selon lequel, 604 familles étaient entretenues et endoctrinées dans les camps des ADF. Ce qui laisse croire que le nombre de ces tueurs peut aller bien au-delà des chiffres officiels.

Dans l’attaque de la prison de Kakwangura, selon la communication officielle des autorités militaires de la RDC, les terroristes d’ADF avaient un double objectif : libérer leurs compagnons détenus et procéder au recrutement de nouveaux combattants.
C’est dans ce contexte qu’une deuxième attaque a été perpétrée à Butembo vendredi 12 août, au cours des « marches pacifiques organisées par des mouvements citoyens », a déclaré le général Sylvain Ekenge porte-parole du gouverneur-militaire du Nord-Kivu. 4 policiers et un militaire congolais ont été tués dans une situation de confusion. Des fourgons de la police ont été également incendiés.

Alors que le gouvernement congolais pointent du doigt « des présumés Maï Maï et d’autres inciviques », les autorités militaires du Nord-Kivu confirment qu’il s’agit d’une attaque du groupe armé Maï Maï « qui servent de supplétif aux terroristes d’ADF », selon le général Sylvain Ekenge.

Les autorités militaires du Nord-Kivu affirment par là donc que les terroristes ADF ont créé leurs réseaux locaux, continent à recruter et, selon certains analystes, ces hors-la-loi s’entraînent à assembler des explosifs artisanaux et s’appliquent à endoctriner les nouvelles recrues. C’est clairement une stratégie de perdurer et résister à l’épreuve du feu et du temps.

Djugu, Irumu, deux autres points chauds

La province de l’Ituri a enregistré un massacre de près de 40 civils il y a moins de 10 jours. Ces attaques perpétrées essentiellement dans le territoire de Djugu, ont été attribuées aux ADF et à la milice connue sous le nom de Zaïre.

La milice Zaire se définit comme un groupe d’autodéfense des membres de l’ethnie Hema, face notamment aux attaques d’un autre milice, la Coopérative pour le développement du Congo (Codeco), qui dit représenter l’ethnie rivale des Lendu.

Dans cette province riche en minerais d’or, la violence ne faiblit pas. L’Etat de siège a été instauré depuis le mois de mai 2021 en même temps qu’au Nord-Kivu.
Comment comprendre alors que malgré le renforcement de la présence militaire dans cette province (comme au Nord-Kivu) du fait de l’État de siège, la violence soit encore aussi prégnante ? Selon Pierre Boisselet, coordonnateur du Baromètre Sécuritaire du Kivu, à chaque fois que les opérations militaires s’intensifient pour traquer les groupes armés dans le Kivu, ceux-ci répondent en décuplant la violence sur des populations civiles. Une sorte de guerre psychologique s’exerce donc, avec une particularité : on ne connait pas très bien l’identité des tueurs. Ils se cachent dans la masse de la population civile, apparaissent pour un laps de temps généralement court, tuent et disparaissent à nouveau.

C’est ce que les autorités congolaises ont qualifié de guerre asymétrique, particulièrement difficile à cerner.
Selon certains spécialistes des questions militaires, dans ce genre de guerre, le tout-militaire ne suffit plus.

Quid de l’efficacité de l’opération Shujaa en RDC ?

Les provinces orientales de l’Est de la RDC connaissent un foisonnement d’opérations militaires qui sont d’abord le fait de l’armée régulière (FARDC), de la Monusco (qui accompagne l’armée congolaise), de l’UPDF (l’armée Ougandaise) en collaboration avec les FARDC, et last but not least, du fait de la multitude des groupes armés. Dans ce grand nombre des forces en présence, on peut se demander où en est-on avec l’opération conjointe entre l’armée congolaise et l’armée Ougandaise lancée depuis le 30 novembre de l’année dernière.

Depuis le lancement de la troisième phase de l’opération conjointe entre les deux armés, la communication autour de l’évolution de la traque contre les ADF est quasi-inexistante. Un silence peut-être voulu, une stratégie de guerre, peut-être. Mais face à la violence qui s’accentue dans les provinces où l’armée Ougandaise a déjà mis le pied non seulement contre les ADF, mais aussi contre tous leurs affiliés, il y a de quoi se poser des questions.

L’armée Ougandaise qui se targue d’avoir une expérience en terrain difficile comme celui du Sud Soudan ou de la Somalie a-t-elle un bilan élogieux dans son opération au Congo ?

Quels sont les indicateurs de son efficacité en RDC?

En lançant son opération à l’Est de la RDC, l’UPDF voulait venir à bout des ADF. Mais pourquoi les terroristes semblent survivre à la puissance de feu des FARDC et de l’UPDF ?

Andrew Mwenda, journaliste Ougandais a écrit un article dans lequel il essaie d’expliquer certaines failles auxquelles fait face l’opération. Selon lui, il y aurait dans l’armée congolaise et au sein de la Monusco, « quelques officiers véreux qui collaborent avec les ADF et qui leur filent armes et informations » pour que ceux-ci échappent à la force conjointe.

Le journaliste a ensuite écrit : « Kinshasa a limité la présence de l’UPDF à un petit triangle ne dépassant pas quelques kilomètres carrés. Cela signifie que tout ce que les ADF doivent faire pour éviter l’UPDF est de sortir de la zone prescrite et de se cacher ailleurs.

Deuxièmement, même si les ADF restaient à l’intérieur de la zone existante, Kinshasa a autorisé l’UPDF à déployer pas plus de 2 000 hommes (moins de trois brigades), ce qui n’est pas suffisant pour assurer une couverture efficace de la zone prescrite pour traquer et vaincre les ADF.

On peut dire que l’UPDF est entrée sur le ring de boxe avec une main attachée dans le dos et une autre portant un poids de 20 kg », selon le journaliste, spécialiste des questions militaires.

Patrick Ilunga

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