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Escalade au Nord-Kivu : Comment comprendre la colère de Kinshasa : Des « Wazalendo » dans la capitale

Mweso, Sake, le territoire de Masisi, celui de Rutshuru ou celui de Nyirangongo. Ces entités Congolaises sont en proie à des affrontements. Au moment où les autorités Congolaises tentent de rassurer que les rebelles seront boutés en dehors des localités dont ils se sont emparés et que Goma ne tombera pas dans le giron du M23, voilà que Kinshasa gronde. La capitale Congolaise, restée parfois à la traîne lorsque en 2021 et 2022 Goma a fortement vociféré contre ce que les Congolais considéraient comme de la passivité de certaines armées partenaires des FARDC, a fait entendre sa voix. Bruyamment, avec violence et violation du droit et de la loi. Certains Kinois se sont revendiqués être des « Wazalendo », ils promettent de manifester encore contre les « occidentaux » à qui ils reprochent de « garder silence pendant que le Congo brûle depuis 30 ans ».

Pourquoi Kinshasa pique une grande colère ? La capitale Congolaise a connu un samedi très violent. Plusieurs manifestations ont eu lieu devant les ambassades de France et des Etats-Unis, notamment. Les manifestants s’en sont pris violemment aux véhicules des diplomates accrédités à Kinshasa. Les véhicules de la mission de maintien de la paix (Monusco) ont également été la cible de violences. Des manifestants particulièrement en colère ont brûlé des véhicules appartenant à cette mission, présente en RDC depuis 1999 et dont le retrait progressif a déjà commencé.

Les manifestants reprochent à la France et aux Etats-Unis de « soutenir ceux qui attaquent le Congo ». Ils font référence au Rwanda, dont l’armée est accusée de soutenir les rebelles du M23. « En tant que Wazalendo Kinois, nous nous sommes dits trop c’est trop. On en a marre avec cette agression Rwandaise », ont déclaré des jeunes avant de poursuivre : « Nous nous sommes retrouvés devant l’ambassade des États-Unis d’Amérique pour réclamer notre droit. Cela fait 30 ans que la RDC est agressée avec plus de 10 millions des morts. Où est-ce que nous en sommes et où allons-nous », se sont interrogés les manifestants qui donnent un ultimatum de 48 heures à la représentation américaine en RDC « pour donner une solution à l’immédiat ». À défaut de la solution, les jeunes enjoignent aux diplomates américains en poste à Kinshasa de « plier bagages ». Selon ces jeunes, depuis ces années, « il n’y a aucune accusation contre le Rwanda ».

Ceci se passe dans un contexte où la guerre s’est aggravée au Nord-Kivu. Comment comprendre la colère brusque qui éclate à Kinshasa ? Un faisceau des faits a mis en place les ingrédients de la colère. D’abord les déclarations presque polémiques du président polonais à Kigali. Andrzej Duda et son épouse Agata Kornhauser-Duda ont visité le Rwanda il y a tout juste une semaine, après avoir été au Kenya. Sur son étape Rwandais, Andrzej Duda a fait une déclaration assurant que la Pologne apportait du soutien au Rwanda même en cas d’attaque. La Pologne et le Rwanda ont signé plusieurs accords notamment en matière de défense. La déclaration de Duda a été analysée par certains comme une prise de position contre Kinshasa, même si d’aucuns pouvaient penser aussi à Bujumbura, qui est en froid avec Kigali. Il y a ensuite le traitement réservé aux supporters Congolais lors du match de demi-finale de la coupe d’Afrique des Nations. Ces supporters qui portaient des calicots soutenant les victimes de la guerre en RDC et dénonçant un génocide en cours au Nord-Kivu, disaient-ils. Ils n’ont pas été filmés alors qu’ils étaient au stade pour la rencontre. Kinshasa a donc dénoncé « la censure » contre ces Congolais.
Dans ces entrefaites, deux pasteurs, bien connus à Kinshasa ont appelé au « réveil patriotique ». « Parce qu’il faut dire au monde entier que ça ne va pas. On nous tue », a dit un pasteur. Les deux ont appelé
à « des manifestations contre toutes ces ambassades occidentales et à chasser les américains ». « Nous ne combattons pas le Rwanda, mais les États-Unis, la France, l’Angleterre et la Belgique. Ces pays veulent diviser la RDC, ils utilisent le Rwanda. Nous allons descendre dans la rue, comme l’ont fait nos frères du Mali et du Niger, pour mettre ces pays hors d’état de nuire », a-t-il déclaré.

Attaques ciblées et attaques sans distinction

Dans la foulée des attaques, les magasins du distributeur de télévision Canal + ont été vandalisés. Dans la confusion la plus totale, les manifestants accusent le distributeur français de télévision d’avoir sciemment censuré des images de supporters lors de la demi-finale de la CAN entre la RDC et la Côte d’Ivoire, alors qu’ils étaient porteurs d’un message de soutien aux victimes de la guerre congolaise.

Dans la capitale de la RDC, un véhicule d’un diplomate a été violemment attaqué à Kinshasa. Cette attaque a été filmée. Le diplomate serait norvégien. Il s’en est sorti indemne mais son véhicule a été endommagé.
« En ce moment, des personnes attaquent sans distinction aucune les véhicules des ambassades et des organisations internationales accréditées en RDC. Un des véhicules de l’ambassade de Côte d’Ivoire a été sérieusement endommagé à 13h dans le quartier de la Gare Centrale à Kinshasa », a déclaré l’ambassade de Côte d’Ivoire en République Démocratique du Congo.

L’ambassade de la Côte d’Ivoire en RDC a dû même annuler le projet de rassemblement des ivoiriens à Kinshasa pour regarder ensemble le match de la finale de la Coupe d’Afrique. Les responsables de la sécurité de la RDC se sont réunis d’urgence pour examiner la situation. A l’issue de cette réunion, le Vice-Premier Ministre en charge de l’Intérieur et de la Sécurité, Peter Kazadi, a déclaré que « le gouvernement constate que ce qui s’est passé aujourd’hui, même si nous comprenons certaines frustrations de nos compatriotes par rapport à ce qui se passe à l’Est du pays, la manière dont les manifestants ont procédé viole plusieurs dispositions du droit international ». « Nous tenons à rappeler que les installations des diplomates étrangers et du personnel de la MONUSCO sont inviolables », a déclaré Peter Kazadi.
Le porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya, a déclaré quant à lui que « le gouvernement condamne fermement ces actes de violence ».
« Le gouvernement ne peut pas accepter que nos citoyens s’en prennent à ce corps, qui est bien protégé par le droit international. Nous pensons que toute personne qui veut manifester est libre de le faire, mais dans le respect des règles et des droits de la République », a ajouté Peter Kazadi. « Il est donc inutile de maintenir la tension dans la capitale de notre pays. Nous avons pris certaines mesures. Nous renforçons la sécurité autour des différentes ambassades et des installations de la MONUSCO. Les forces de l’ordre sont déployées dans certains lieux jugés sensibles parce que nous craignons que l’ennemi ait une main dans tout ce qui s’est passé aujourd’hui », a déclaré M. Kazadi.

La chef de la MONUSCO et représentante du Secrétaire général des Nations Unies en RDC, Bintou Keita, a condamné la série d’attaques contre le personnel des Nations Unies à Kinshasa et a appelé les autorités judiciaires congolaises à ouvrir des enquêtes en vue de poursuivre les auteurs de ces actes.
Bintou Keita a souligné que « les menaces et les attaques contre le personnel des Nations Unies et leurs familles sont inacceptables ». « Ces attaques ont un impact négatif sur la mise en œuvre des mandats respectifs des agences, fonds et programmes du système des Nations Unies. En ce qui concerne la MONUSCO, ces attaques entravent son soutien aux forces de défense et de sécurité congolaises. Affaiblir la MONUSCO, c’est renforcer les forces négatives qu’elle combat avec ses partenaires congolais », a-t-elle ajouté. Elle a ajouté que « la violence contre le personnel de la MONUSCO peut constituer un crime de guerre ».

Patrick Ilunga

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