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Interview exclusive – Andrée Yoka Lye : « l’indépendance du Congo a été mal préparée aussi bien par les Belges que par les Congolais ». -”Un regard purement scientifique »

La RDC vient de célébrer ses 62 ans d’indépendance, le 30 juin 2022. Un évènement qui suscite toujours des interrogations, des réflexions et des diverses lectures autours de différentes questions qui surgissent malgré le temps qui court. Geopolis hebdo est allé à la rencontre d’un des témoins de l’histoire de la RDC, en la personne de André Yoka Lye, Professeur d’Universités, spécialiste en musique. Il est aussi Directeur Général honoraire à l’Institut national des arts (INA). Le professeur s’est livré au public à coeur ouvert en répondant à nos différentes préoccupations, notamment sur les conditions de l’obtention de l’indépendance par les congolais, de leur gestion de la chose publique, du retour de la dépouille de Lumbumba, jusqu’à la visite du couple royal, le Roi Philippe et la Reine Mathilde en juin dernier. En ce qui concerne la question de l’indépendance qui est d’actualité, le scientifique pense, sans atermoiements, que cette indépendance a été mal préparée aussi bien par les colonisateurs que par les colonisés. Retrouvez l’intégralité de la lecture du professeur Andrée Yoka Lye dans les lignes qui suivent.

Geopolis hebdo :  » Après 62 ans d’indépendance, la RDC est toujours dans le tourment en dépit des élections organisées. Qu’est-ce qu’il faut pour que ce pays de Lumumba décolle sur des bonnes bases ?

André Yoka Lye : Pour ma part, l’indépendance du Congo a été mal préparée aussi bien par les Belges colonisateurs que par les Congolais colonisés. En 1960, la suprématie et la main-mise des lobbies financiers et de la diplomatie occidentale avaient le dessus. Cas de l’Union Minière du Haut Katanga. Le démantèlement et la nationalisation de l’UMHK par le Président Mobutu n’ont pas ébranlé, ni entamé les fondements de la politique capitaliste et impérialiste. Par ailleurs les leaders congolais, pour la plupart, mal préparés, sont tombés dans la chimère et l’illusion de la substitution des Blancs par des Noirs. Cas de la Table ronde économique : devant les gourous de la finance internationale, n’étaient présents que 3 « experts » congolais, probablement, parait-il, Cardoso, Kamitatu et…Mobutu. Conséquence : depuis 1960, la RDC semble être en transition louvoyante et pathétique. La Belgique elle, continue à entretenir des remords tardifs et contreproductifs.

GH : Que diriez-vous à ceux-là qui pensent que la Rd Congo a obtenu son indépendance très tôt, il fallait qu’elle l’obtienne 20 ans ou 30 ans après ?

* AYL :* Le mouvement des indépendances africaines a été presque concomitant autour des années 60. Bien entendu les acquis de ces indépendances ont varié selon les histoires coloniales diverses, que ce soit au Maghreb, en Afrique francophone, anglophone ou lusophone. Chez les Anglophones par exemple, le principe de « l’indirect rule », avec l’expérimentation de la prise en charge autonome. La lutte armée dans les pays arabes où ceux de l’Afrique lusophone ont précipité les indépendances, mais généralement au profit des leaders nationaux aguerris ( au propre comme au figuré). Au Congo, c’était la débandade et les palabres en roue libre. Des figures patriotes comme Lumumba ou Malula, ont été des visionnaires parce qu’au contact avec les expériences des premiers leaders charismatique africains comme N’Krumah ou Sekou Touré. Le professeur Van Bilsen avait proposé en 1956 un Plan de 30 ans, mais à l’époque, notamment chez les leaders congolais, le projet a été rejeté. Vu de loin, certains se demandent si ce Professeur n’avait pas raison.

GH: La Belgique vient de restituzr les restes de Lumumba. Pensez-vous que ce geste va améliorer les relations bilatérales traditionnelles entre les deux Etats ?

AYL : A suivre les déclarations des officiels belges et congolais, la restitution de la dépouille de Patrice Lumumba devrait contribuer à apaiser les tensions et à river vers l’avenir, dans le respect mutuel absolu. N’oublions pas que la grande majorité des jeunes d’aujourd’hui, y compris les politiques des deux côtés, n’ont pas connu, ni subi la colonisation. Par ailleurs je regrette vivement que tout au long de la programmation de ces obsèques spéciales, des compagnons de route et d’infortune comme ceux de Mpolo et de Okito, n’aient pas eu autant de révérence que le réclament l’histoire et le devoir de mémoire. Personnellement je continue à être à la fois anxieux et révolté par le sort des restes humains de nos ancêtres « stockés  » dans des galeries museales ingrates. Les questions des Droits de l’Homme comme celles-là sont des urgences non négociables avec les ravisseurs.

GH : Symboliquement, quelle lecture faites-vous de la visite du roi des Belges en RDC ?

AYL : Dans l’imaginaire populaire congolais, un roi belge est mythe. Depuis la mort de Lumumba et les compromissions conséquentes, les mythologies sont nuancées. Toute visite de ce niveau là fait partie des convenances internationales comme, en principe, signe de coexistence pacifique et de bonne volonté.

GH : Le Roi Philippe devrait-il nécessairement demander pardon aux Congolais après tous ce que son pays a infligé comme sevices et brimades aux congolais en général ?

LMY : Les débats sémantiques sur « regrets » et « excuses » intéressent beaucoup les grammairiens que nous sommes. Les regrets sont une expression de remords, de contrition personnalisés, intérieures. Les excuses pour être crédibles doivent être formalisées et publiques, et demandent pénitence et réclamation. « Soki omoni ndoki belela!,  » (A la rencontre d’un mauvais esprit, il faut crier fort pour l’exorciser) ».

Propos recueillis et retranscrits par Voldi Kengi

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