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La force régionale de l’Est empêtrée dans le complexe conflit du Congo : Chronique d’un flop annoncé

Deux mois après son arrivée en RDC, la force régionale est déjà en pleine zone de turbulences. Mercredi à Goma, des activistes ont appelé à marcher pour protester contre ce qu’ils qualifient de « passivité » de la force régionale. La marche de protestation a été étouffée. La police Congolaise et même une unité des FARDC ont dispersé les protestataires à coup des gaz lacrymogènes. La marche tant redoutée n’a pas vraiment eu lieu. Mais les déclarations des activistes en RDC illustrent bien comment une crise de confiance est en train de s’installer entre la force régionale d’Afrique de l’Est et une partie de la population congolaise.

Pourtant, il y a deux mois, l’arrivée en RDC des contingents Kényans a été vue comme un début de solution pour aider à pacifier l’Est de la République démocratique du Congo qui lutte avec une insécurité multiforme depuis près de 30 ans, avec une centaine des groupes armés, selon les chiffres des Nations Unies, essaimant dans la forêt, mais qui se fondent aussi parmi les civils. Ce qui rend difficile la tâche pour l’armée congolaise d’éradiquer les combattants qui perpètrent des coups et se cachent dans la forêt où se faufilent parmi les civils. Les autorités congolaises congolaise appellent cela « la guerre asymétrique ».

Dans cette équation déjà compliquée de l’insécurité est venu s’ajouter la donne des groupes terroristes, mais surtout les rebelles du M 23 qui eux font une guerre de front avec l’armée congolaise, contrairement à la multitude des groupes armés qui s’attaquent aux civils, principalement. Pour parer au plus pressé, l’État Congolais avait donc désigné les rebelles du M 23 comme son premier ennemi à combattre, d’autant plus que les autorités congolaises attestent que les rebelles du 23 Mars (M 23) sont « une création du Rwanda ». Cette politique Congolaise à se battre contre le M 23 en priorité avait déjà été annoncée à la force régionale d’Afrique de l’Est. En novembre 2022, lorsque le contingent Kényan débarque à Goma, dans le Nord-Kivu, le général Chico Tshitambwe, sous-chef d’état-major des FARDC, chargé des opérations, accueillait les troupes venues de Nairobi et avait déclaré au général-major Jeff Nyagah, qui dirige cette force régionale que la RDC « espère qu’avec votre arrivée, beaucoup des choses vont changer ». Le général Chico Tshitambwe avait ajouté : « Nous allons évoluer dans une mission offensive afin de ramener la paix dans notre pays la RDC, avec en priorité le M 23 et cette agression Rwandaise ».

La déclaration du général Congolais s’est faite devant les journalistes dont certains ont posé la question au général major Jeff Nyagah sur la stratégie de la force régionale. Le général major Nyagah avait répliqué: « Sur la question de savoir si nous allons combattre le M 23, je voudrais être clair. La première priorité est le processus politique dont le processus de Luanda et de Nairobi. Quelques fois, la guerre n’amène pas forcément la paix. Il y a le désarmement et la démobilisation. C’est seulement si les deux options échouent que nous pouvons passer vers une option offensive et militaire. Ce n’est pas seulement se focaliser sur le M23. Nous avons plus de 120 groupes armés ici ».

C’était là, la première erreur stratégique de la force de l’Est. Pour les autorités congolaises, il faut d’abord en finir avec le M 23 avant de s’attaquer à d’autres groupes armés qui ne combattent pas de l’armée congolaise de front.
Dans la tête des autorités congolaises, la force régionale devait être différente de la mission de l’ONU qui est supposée être une force de maintien de la paix. « La force régionale a pour mandat d’imposer la paix », avait même souligné le président Kenyan William Ruto lors de sa visite à Kinshasa toujours en novembre 2022. La différence de vue dans la stratégie militaire entre les officiels de l’armée congolaise et la force régionale d’Afrique de l’Est annonçait des lendemains difficiles.

Devant le M 23, la force régionale a usé de la diplomatie militaire. Les troupes du général major Jeff Nyagah ont réussi à approcher le M 23 et au cours d’une réunion organisée ensemble avec l’armée congolaise, la Monusco (mission de l’ONU en RDC) et le mécanisme de suivi des Grands Lacs, les rebelles avaient promis de se retirer de Kibumba, une cité située à 20 kilomètres de Goma. Cela était une exigence issue du mini sommet de Luanda.
Le 23 décembre, les rebelles se retirent de la cité. La force régionale d’Afrique de l’Est s’était réjoui d’avoir obtenu un début de désescalade avec le M 23 sans avoir tiré un coup de feu. Mais l’armée congolaise a réfuté l’allégation de retrait et avait parlé d’un leurre des rebelles qui feignent de se retirer, mais renforcent leurs positions pour attaquer sur d’autres fronts.

Lorsque le 23 décembre, le M 23 cède Kibumba à la force régionale, les rebelles soulignent que l’armée congolaise ne peut pas mettre ses pieds dans des territoires cédés à la force de l’Est. La force de l’Est accède à Kibumba, puis le camp militaire de Rumangabo, toujours au Nord-Kivu, après un retrait, toujours qualifié de simulacre par les autorités congolaises. Aux yeux des Congolais, c’était là, la deuxième erreur stratégique qui a convaincu certains congolais que la force de l’Est aurait un « agenda flou » à l’Est de la RDC.
En effet, au Congo, plusieurs personnes ont toujours soupçonné qu’il se trame un plan pour diviser le pays et le fait que la force régionale s’est installée dans une « zone tampon » et que les rebelles se sont enracinés dans l’autre partie, constituait la concrétisation du projet de Balkanisation [en référence aux pays des Balkans qui se sont divisés en plusieurs pays en Europe], selon les tenants de cette thèse.
Le 30 décembre 2022, alors qu’il s’adressait aux congolais à travers un message diffusé à la télévision, Martin Fayulu, a déclaré : « Nous ne pouvons pas accepter que la force de la Communauté d’Afrique de l’Est, composée essentiellement d’éléments issus des armées des pays agresseurs, vienne remplacer les rebelles. La souveraineté et l’intégrité territoriale de notre pays étant non-négociables, nous ne pouvons pas avoir une zone tampon, un no man’s land, à l’intérieur de notre pays ».
D’autres leaders politiques du Congo, comme l’ancien premier ministre Adolphe Muzito lancent des messages allant dans le même sens de Fayulu.

Voilà la force régionale accusée de jouer un rôle dans une guerre complexe qu’elle ne comprend peut-être pas.
Cette force est arrivée certainement avec beaucoup de bonnes intentions, mais elle se retrouve peut-être mal briefée en terres inconnues. Elle apprendra sur le terrain que pour les Congolais, la fameuse diplomatie militaire qu’elle entend utiliser, avec des images, mains dans la mains avec le M 23 est perçue comme de la lâcheté, de la passivité, ou pire, de la complicité avec une force [ le M 23] considérée comme ennemi du pays.
La méthode à laquelle la force régionale a fait recours semble se diriger dans le mur, vu la duplicité et la ruse des forces en face. Et le gouvernement congolais l’a bien compris.
Déjà le 17 janvier 2023, le gouvernement congolais a fait constater que le processus de retrait du M 23 aurait dû déjà s’achever parce que « selon la programmation établie par les Chefs d’État-major généraux et le commandant de la force régionale de la communauté d’Afrique de l’Est à Dare-Salam le 15 décembre 2022, à la date du 15 janvier 2023, le M 23 devait déjà quitter toutes les zones occupées pour permettre le retour de la population congolaise déplacée », a écrit le Vice-premier ministre Congolais en charge des Affaires étrangères Christophe Lutundula. Pour le gouvernement congolais « le M 23 et les autorités Rwandaises n’ont pas respecté leur engagement, au mépris total de la communauté d’Afrique de l’Est, de l’Union Africaine et du Conseil de Sécurité de l’ONU », peut-on lire dans le communiqué de presse de Christophe Lutundula du 17 janvier.

Dans sa déclaration, Christophe Lutundula dit que la RDC « prend note » du fait que « le Rwanda a refusé de cesser de soutenir le M 23 ». Le ministre Congolais promet que la RDC « assumera toutes ses responsabilités et n’entend pas faiblir ». « Le Congo est prêt à toute éventualité », a-t-il souligné.

Décidément, l’escalade entre le RDC et le Rwanda est loin de se terminer. D’ailleurs, le président Félix Tshisekedi a même enfoncé le clou en déclarant, alors qu’il participait au forum économique de Davos, que « le problème aujourd’hui de l’insécurité dans la région des grands lacs s’appelle le Rwanda ».

Patrick Ilunga

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