Politique

Tribune : Les Pandemic Bonds : Objet, mécanisme et critique en contexte de propagation du COVID-19

 

Depuis la fin de l’hiver dernier et bien avant, le coronavirus est tellement à la une que très peu de gens à travers le monde ont vu le printemps arriver. A la télé, à la radio, sur la toile et surtout à travers les réseaux sociaux, chacun parle du virus de Wuhan qui s’est exporté mieux que la porcelaine à l’époque fleurissante de la route de la soie, semant, hélas, désolation sur son itinéraire. Aujourd’hui, si quelques pays non (encore) infectés apparaissent comme des ilots de survie sur la planète, ils demeurent tout de même affectés sur le plan économique et social. En réaction à cette situation, les grandes institutions financières se déclarent disposées à apporter un accompagnement aux pays dont l’espace budgétaire les confine dans un rôle d’impuissance face à la cruauté de cette reine parasite qui inocule son poison dans le corps de celui qui lui ouvre la voie.

Alors que tous les yeux sont rivés vers le mode d’assistance formelle, entre gouvernements ou impliquant l’intervention des institutions financières internationales, suivant les schémas traditionnels, Bobo B. KABUNGU, Ph. D., Enseignant-Chercheur, Spécialiste en évaluation des politiques publiques et Président du Conseil Permanent de l’ONG ICEBERG (Initiative Congolaise pour l’Evaluation, le Bien-Etre, la Recherche et le Genre) porte un regard critique sur les « obligations pandémiques » en tant que mécanisme censé le mieux répondre aux crises sanitaires du genre de celles que le monde traverse actuellement.

Son analyse (i) présente le contexte, (ii) décline l’objet et le mécanisme de ce type d’obligations « catastrophes » spécifiques aux épidémies de grande ampleur, (iii) expose les attentes par rapport à la pandémie du Covid-19 et (iv) suggère une évaluation critique du dispositif, sur un fond de revue documentaire et d’analyse SWOT (points forts, faiblesses, opportunités et les menaces).

1. Contexte

Les effets de la propagation de la pandémie du Covid-19 sur l’économie mondiale ont tellement pesé sur les prévisions de croissance en 2020 que l’activité, à l’échelle internationale, devrait tout au moins se replier et, au pire, une récession est envisagée. Selon la Banque mondiale, une pandémie d’une ampleur aussi grave que la grippe espagnole de 1918 pourrait coûter jusqu’à 5,0 % du PIB mondial. Plus récemment, l’épidémie d’Ebola, en Afrique de l’Ouest, a coûté une perte globale de PIB estimée à USD 2,8 milliards aux économies de la Guinée, du Libéria et la Sierra Leone prises ensemble (Banque mondiale, 2016).

Si tous les pays sont touchés d’une façon ou d’une autre, suivant leur degré de dépendance de l’extérieur (Bloom, Cadarette et Sevilla, 2018) et le degré de discipline des populations à respecter les gestes barrières, tout porte à croire que les pays à faible revenu seront sévèrement touchés eu égard à leur incapacité à dégager des ressources budgétaires pour répondre aux dépenses imprévues liées à la survenance de grandes épidémies. S’agissant de la RDC, point n’est besoin de souligner que les hypothèses pessimistes tablent sur une récession, du fait, notamment de l’extraversion de son économie. Et lorsque l’on considère les mises à jour des perspectives de croissance économiques des grandes zones, les craintes se justifient d’avantage. Le tableau 1 indique clairement une récession aux Etats-Unis, dans la zone euro, au Royaume-Uni et un recul prononcé de la croissance en Chine, premier partenaire commercial de la RDC.

Source : Fitch Ratings. Publication du 02 avril 2020, à 07 : 54.

A ce jour, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international se disent prêtes à accompagner ces pays en difficulté par d’importants appuis financiers. En outre, plusieurs Etats ont annoncé leur assistance technique (médicale et logistique principalement) pendant que les chercheurs des centres de recherche biomédicale avancent dans leurs travaux afin de proposer, à court ou moyen terme, un vaccin et une cure de guérison dûment testés.

Cependant, les besoins continuant à augmenter au fil de la multiplication des cas dans les pays, il importe de se tourner également vers les pandemic bonds dont l’intelligentsia africaine parle peu jusqu’ici.

2. Objet et mécanism

Les « obligations pandémiques » ont été lancées (par la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD) et l’Association internationale de développement (IDA) – membre du WBG -, en collaboration avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et d’autres partenaires des secteurs public et privé) en 2017 pour financer la lutte contre les épidémies (dans les pays pauvres), dans le cadre du Mécanisme de financement d’urgence pandémique (PEF). Leur objet est d’associer les marchés et leur puissance financière à la lutte contre les épidémies, en fournissant un financement d’appoint aux pays éligibles, de manière à leur permettre d’éviter une évolution extensive des maladies à fort potentiel de contagiosité.

A l’époque, cette institution de Bretton Woods avait justifié cette idée par les contraintes observées lors des crises épidémiologiques passées dans les pays pauvres, notamment celle d’Ebola qui avait sévi en 2014. Le bénéfice de ce mécanisme novateur était de faire porter le risque économique d’une pandémie au secteur financier en mobilisant rapidement les fonds nécessaires à une riposte efficace, contrairement aux négociations intergouvernementales qui sont plus lentes à produire des résultats concrets.

Présentées comme une réponse partielle au coût des pandémies, ces obligations offrent des taux d’intérêt élevés pouvant atteindre 14,0 % mais, en cas de réalisation du risque (effectivité d’une pandémie), les investisseurs peuvent perdre tout ou partie de leur mise. Dans ce cas, les fonds sont versés aux pays les plus pauvres confrontés à une catastrophe sanitaire, via un fonds spécifique de la Banque mondiale dédié à la lutte contre la maladie. C’est finalement un fonctionnement reposant sur le principe d’une assurance classique.

Comme le tableau 2 le montre, les obligations pandémiques totalisent 320,0 millions de dollars américains. L’on retiendra qu’autant que pour les autres obligations dites « catastrophes », les investisseurs courent le risque de perdre leur capital si un ensemble de conditions sont réunies. Il s’agit de seuils paramétriques tels que l’ampleur de la pandémie, son taux de croissance ou encore la propagation transfrontalière qui déclenchent l’activation du mécanisme lorsqu’ils sont franchis.

3. Attentes en contexte de propagation du Covid-19

Au regard du nombre sans cesse croissant des morts et des cas inquiétants dans le monde dû au Covid-19, le mécanisme de paiement devrait être déclenché, en commençant par la tranche la plus risquée des obligations. AIR Worldwide Corp, Conseiller de la Banque mondiale en la matière, devrait produire un rapport au courant de la semaine du 06 au 10 avril courant. Mais les fonds, selon l’agence Bloomberg citée par Lecho.be, ne devraient être versés que le 15 mai 2020 ; ce qui est tard par rapport aux besoins de l’heure.

Au stade actuel, les données avancées indiquent que la tranche de 225,0 millions de USD, qui est la moins risquée, pourrait perdre 17,0 % de sa valeur. En revanche, les détenteurs de la tranche de 95,0 millions de USD, qui est la plus risquée, pourraient perdre la totalité de leur mise. Mais le nœud du problème est la définition claire, juridiquement acceptable par tous, d’une pandémie.

4. Critique d’ordre éthique

Les réactions au sujet de l’attentisme des institutions financières internationales face à la progression du coronavirus se multiplient sans que, malheureusement, les organismes visés n’accélèrent leurs pas vers une intervention musclée. Mathieu (2020) renseigne que le concept et la mise en œuvre des montages financiers de la Banque mondiale pour aider les pays les plus pauvres font polémique de manière silencieuse alors que le coronavirus continue de cause des milliers de morts sur la planète.

D’un côté, certains défendent le premier guichet du PEF et d’un autre, plusieurs s’attaquent à son mécanisme. Ci-dessous sont présentés les arguments des uns et des autres.

Parmi les défenseurs du dispositif des pandemic bonds, Bris et Cantale (2020a) mettent en exergue trois points forts de ces obligations, sans nier qu’elles peuvent comporter certaines tares. L’argumentaire présenté est principalement sur le gain individuel et collectif des parties prenantes en termes, respectivement, de retour sur investissement et de prévisions.

Primo, le guichet assurance du mécanisme de financement d’urgence en cas de pandémie offre un moyen relativement bon marché de diversification du portefeuille, en créant de la valeur pour les investisseurs, en réduisant les risques globaux et en augmentant simultanément le rendement attendu. En effet, les pandemic bonds évaluent un risque dont la corrélation avec les sources traditionnelles d’inquiétudes financières auxquelles les investisseurs sont généralement exposés (risque de change, risques géopolitiques, risques de marché et même risque de cyber sécurité et de terrorisme) n’est pas très élevée.

Secundo, ces obligations offrent une opportunité au monde de mieux évaluer la probabilité de survenance d’une pandémie, grâce à l’attrait des investisseurs potentiels qui devront apprécier, sur la base d’informations avancées, le risque de défaut de leurs « mises » (apparition d’une épidémie de grande ampleur). La multiplication d’acteurs censés évaluer ce risque est bien meilleure que l’appréciation basée sur l’avis d’une seule institution, en l’occurrence l’Organisation mondiale de la santé ou un gouvernement donné.

Ainsi, l’on aboutirait à une probabilité impartiale de survenance d’une pandémie pouvant être valablement utilisée, à moindre coût, par les Etats et les organisations internationales impliquées. Ils disposeraient ainsi d’une estimation crédible du niveau de risque permettant de sensibiliser les parties prenantes et organiser, de façon cohérente et coordonnée, les précautions contre la flambée de la maladie.

Tertio, « comme ces obligations sont cotées sur le marché, il n’est pas difficile d’imaginer une situation où une forte probabilité d’une épidémie pandémique pousse un peu d’argent de recherche dans cette direction, grâce aux sociétés pharmaceutiques et aux investisseurs. Cela réduirait à la fois la probabilité d’une épidémie et ses conséquences. C’est une situation dans laquelle tout le monde serait mieux loti : les agences gouvernementales, les donateurs, les investisseurs et la société » Bris et Cantale (2020b).

Les arguments présentés par les détracteurs du PEF, du moins dans son format actuel, sont plutôt d’ordre éthique en reprochant au mécanisme de « laisser mourir les malades ». Par ailleurs, une dérivée de ce courant met en évidence le volet financier de l’instrument qui profite plus aux investisseurs.

L’un des pionniers de la critique est Olga JONAS, Chercheur principal au Harvard Global Health Institute et ancien Economiste à la Banque mondiale. Selon cette scientifique, le mécanisme des obligations pandémiques ne considère pas le risque réellement encouru par les pays les plus pauvres de la Planète en matière de capacité de réaction aux flambées des maladies. Et quand bien même les maladies infectieuses se propagent très rapidement, surtout dans un environnement où l’insalubrité et la promiscuité font bon ménage, la libération des fonds pour parer au plus pressé ne se fait qu’en retard, lorsque la maladie se sera répandue et aura causé des pertes innombrables en vies humaines.

Lawrence SUMMERS, ancien Economiste en Chef de la Banque mondiale fait également un reproche dont Le Figaro a fait écho. En effet, en 2018, lors de l’épidémie d’Ebola en RDC, le mécanisme de paiement ne s’était pas déclenché, considérant que les seuils de « désolation » (250 morts dans le pays d’origine de l’épidémie et 20 décès dans un deuxième pays – pauvre –) n’avaient pas été atteints alors que le virus avait causé la mort de 2.200 personnes sans que la maladie ne s’étende bien au-delà des frontières nationales.

Bodo ELLMERS, Directeur du Programme de Financement du Développement Durable du Global Policy Forum, cité par McVeigh (2020) se plaint du fossé observé entre la rapidité annoncée de l’instrument et le cynisme du nombre de morts comme critère de mise en œuvre. Pour lui, le mécanisme n’a rien de souple et perd son sens dès lors que les critères mis en place demeurent si stricts que le risque pour les investisseurs est finalement très faible.

Brim et Wenham (2019) ont, pour leur part, relevé que la facilité de financement d’urgence en cas de pandémie a, dans la pratique, du mal à respecter ses promesses innovantes. Leur article critique les obligations pandémiques partant du constat selon lequel plus d’argent a été versé aux investisseurs plutôt qu’aux pays confrontés à des épidémies. Au final, il s’agirait donc d’une opération enrichissant les entités déjà en capacité de financement (les investisseurs) et appauvrissant celles qui sont dans le besoin.

Une autre critique des experts en santé publique, relayée par Next-Finance (2020) est que les obligations pandémiques se révèlent être assez chères, étant donné le versement des intérêts conséquents aux investisseurs. Ces rémunérations de placements auraient mieux servi dans l’infrastructure du secteur de la santé des pays en développement. Cependant, c’est ici le lieu de mentionner que les obligations pandémiques n’ont pas pour ambition de remplacer les autres programmes d’aide au développement, mais visent l’introduction d’outils alternatifs de financement reposant sur le marché et grâce auxquels certains risques sont transférés vers les investisseurs.

A appréciation inchangée, il faudrait donc attendre qu’il y ait eu 20 morts dans un pays d’Afrique subsaharienne pour qu’un décaissement substantiel intervienne. C’est à se demander si l’on attend que la RDC qui a déjà enterré 18 de ses habitants décédés du fait de la pandémie atteigne la barre de 20 pour changer les choses. Pourtant le Maghreb a déjà enregistré, notamment, 152 décès en Algérie, 78 en Egypte et 71 au Maroc au 06 avril courant. D’où la nécessité d’un plaidoyer pour modifier les conditions d’activation de ces fonds qui risquent de perdre tout le sens que porte leur nom à défaut d’être efficaces.

C’est la ligne de défense du courant réformateur que soutient ce court papier : considérer, d’une part, les points forts de l’instrument « obligations pandémiques », notamment l’attrait du gain individuel offert par le retour attendu sur investissement et l’amélioration des estimations du niveau de risque épidémiologique et, d’autre part, les tares relevées sur le plan éthique au regard de la rigidité du déclenchement du paiement des fonds en faveur des pays qui sont dans le besoin.

Par Bobo B. KABUNGU, Ph. D.

Chercheur au CRESH

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