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Gestion de la  » petite territoriale  » : Malentendu, fraude à la loi ou matière concurrente entre l’Intérieur et la Décentralisation ? – Le Conseil d’État interpellé

Le bras de fer continue entre le Ministre d’État, ministre en charge de la Décentralisation et réformes institutionnelles et le Vice-premier Ministre et Ministre de l’Intérieur, sécurité et affaires coutumières autour de la gestion de la petite territoriale. Qui va l’emporter ? Difficile de répondre à cette question à ce stade. Des sources proches du dossier, le tabloïd de l’avenue Isiro nº 28 a appris qu’après avoir contesté dans une lettre adressée au locataire de la Primature la compétence de Peter Kazadi Kankonde de nommer les chefs des secteurs, Eustache Muhanzi Mubembe est passé vite à l’action. Il a, à son tour, signé, en date du 27 septembre 2023, un arrêté ministériel portant nomination des chefs des secteurs.

En effet, dans une correspondance adressée récemment au Premier ministre Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge, le Ministre d’État, Ministre de la Décentralisation et Réformes Institutionnelles Eustache Muhanzi dénonce l’empiètement par le Vice-premier Ministre et Ministre de l’Intérieur Peter Kazadi, des prérogatives relevant du Ministère de la Décentralisation et des Réformes Institutionnelles, ce qui compromet la collaboration au sein du Gouvernement de la République.

Me Eustache Muhanzi reproche à son collègue de l’Intérieur de s’immiscer dans les prérogatives de son Ministère et évoque des implications contraires à la Loi. Le patron de la Décentralisation demande au Chef du Gouvernement d’intervenir pour demander au Vice-premier Ministre de l’Intérieur de rapporter son arrêté concernant la nomination des Chefs de secteurs sur toute l’étendue du territoire national. La Constitution et les textes réglementaires de la République Démocratique du Congo (RDC), rappelle-t-il, confèrent au Ministère de la Décentralisation la compétence exclusive en ce qui concerne la mise en œuvre de la décentralisation, y compris la nomination des animateurs des Entités Territoriales Décentralisées (ETD). Le Ministre Muhanzi cite notamment l’article 93 de la Loi fondamentale qui établit que toutes les questions liées à la décentralisation relèvent du Ministère en charge de cette question. Pour le Ministre Muhanzi, l’arrêté ministériel émis par Peter Kazadi est par conséquent en violation de la Constitution et des lois en vigueur.

“ Prétendre conserver, en tant que Ministère de l’Intérieur, une compétence quelconque en matière de décentralisation n’a aucune assise juridique substantielle. Et, s’accrocher à la lettre de certaines dispositions d’un texte légal, rédigé dans un contexte où l’Intérieur et la Décentralisation étaient des compartiments d’un même Ministère, en méconnaissant l’esprit dont le curseur est positionné sur le domaine de la Décentralisation constitue une fraude à la loi ”, écrit le ministre de la Décentralisation.

Ainsi donc, ajoute Eustache Muhanzi, “ affirmer hasardeusement que le Ministère de l’Intérieur tient une quelconque tutelle politique sur les ETD et que l’Ordonnance fixant les attributions des Ministères qui lui aurait confié l’“administration du territoire”, renvoie à une lecture bancale”.

Après avoir avisé donc le Premier ministre, il est passé, ensuite, à une autre étape, en signant l’arrêté ministériel n°03/CAB/MIN/DEC-RI/EMM/2023 du 27 septembre 2023 portant nomination des chefs des secteurs de la RDC. Dans cet arrêté, le ministre d’Etat en charge de la Décentralisation a sérieusement taclé le Vice-premier ministre de l’Intérieur. On peut y lire notamment ce qui suit :

« Considérant que par l’arrêté ministériel n°214/CAB/VPM /MININTERSECAC/PKK/203/2023 du 18 juillet 2023, il a été procédé, en violation de la Constitution et de l’ordonnance fixant les attributions des ministères, à la désignation de manière irrégulière des chefs des secteurs par le ministre ayant l’Intérieur dans des attributions ; considérant, par conséquent, la nécessité de régulariser cette situation par la mise en place régulière des autorités locales qualifiées, compétentes et engagées pour le développement local…»
L’article 2 dudit arrêté du ministre d’État à la Décentralisation et réformes institutionnelles précise qu’il abroge deux arrêtés de Peter Kazadi.

« Sont abrogées toutes les dispositions antérieures contraires au présent arrêté, notamment les arrêtés ministériels n°25/CAB/VPM/MININTERSESAC/PKK/203/2023 du 18 juillet 2023 portant nomination des chefs des secteurs de la RDC et n°214/CAB/VPM/MININTERSESAC/PKK/2023 modifiant et complétant l’arrêté ministériel n°25/CAB/VPM/MININTERSESAC/203/2023 du 18 juillet 2023 portant nomination des chefs des secteurs de la RDC »..

En réaction, le VPM de l’Intérieur aurait, d’après un télégramme qui circule dans les réseaux sociaux, instruit les Gouverneurs des provinces, d’ignorer l’arrêté de son collègue de la Décentralisation et réformes institutionnelles. Décidément, il y a crise au gouvernement entre Muhanzi issu de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC de Vital Kamerhe) et Kazadi du parti présidentiel Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS).

Cette controverse entre les ministères de la Décentralisation et de l’Intérieur soulève des inquiétudes quant à l’impact de cette situation sur le développement local au sein des ETD. En l’absence de nominations officielles et légitimes, les projets et initiatives de développement risquent d’être retardés, affectant ainsi le mieux-être et l’épanouissement des populations locales. Il est essentiel de résoudre rapidement ce différend afin de permettre aux ETD de fonctionner de manière optimale et de poursuivre leur mission de développement au service des citoyens.

Il est maintenant essentiel que les autorités compétentes trouvent un terrain d’entente et prennent les mesures nécessaires pour assurer la nomination régulière des animateurs, permettant ainsi la continuité des services publics et le développement local. Pour le bien-être des populations locales, il est primordial que cette controverse soit résolue rapidement et de manière concertée.

La balle est maintenant dans le camp de Sama Lukonde, leur Chef commun, et/ou encore du Conseil d’État, afin de rappeler tout le monde à l’ordre et surtout, au respect srucupuleux des textes fondateurs de notre jeune État de droit, surtout ceux qui fixent les compétences des uns et des autres sur telle ou telle matière.

S’agissant particulièrement du Conseil d’État (Cfr: L’article 154 de la Constitution du 18 Février 2006 qui a spécifiquement institué un ordre de juridictions administratives composé du Conseil d’Etat et des Cours et Tribunaux administratifs. Cette disposition constitutionnelle a été formalisée par la loi-Organique n°16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif), par ses missions, il est donc un des piliers de l’État de droit. Il tranche les litiges qui opposent les citoyens, entreprises et associations à l’Administration : 1) Juger l’administration et ; 2) Rendre des avis juridiques au Gouvernement et au Parlement..

Tout citoyen, toute association ou toute entreprise, qui estime ses droits et libertés violés, peut contester au Conseil d’État les décisions prises par l’Administration publique -tant au niveau local, provincial que national- devant la justice administrative. En tant que juge administratif de premier et dernier ressort, le Conseil d’État juge ces litiges après les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel. Il peut également être saisi directement lorsque la mesure contestée provient d’une autorité ayant une compétence à l’échelon national (Président de la République, Gouvernement et ministères…).

Le Conseil d’État émet des avis motivés sur : 1) Les demandes en régularité juridique des textes législatifs et réglementaires en chantier ou en vigueur, introduites par les autorités compétentes du Pouvoir central ; 2) Les difficultés d’interprétations ou sur les questions qui soulèvent un difficulté d’interprétation des textes juridiques en vigueur autres que la Constitution devant une juridiction ou une autorité administrative centrale, et enfin ; 3) Le Conseil d’État rend des décisions de justice qui sont contraignantes pour l’administration et veille à leur bonne exécution.

Dieudonné Buanali

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