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Retour à Robben Islande : L’Afrique change mais n’avance pas

Voilà des années que je reviens à Robben Islande, cette île de triste mémoire qui fut la prison de Nelson Mandela et de ses compagnons, prison dans laquelle il a passé plus de deux décennies de sa vie. Conservé dans l’état pour en faire un musée, l île est aujourd’hui une destination touristique. Ils viennent du monde entier pour venir voir de leurs propres yeux ce que fut le système honni de l’apartheid, celui qui a maintenu pendant longtemps la majorité noire dans des conditions inhumaines. Ils ne pouvaient supporter cette discrimination et ils se sont opposés, provoquant l’hydre des blancs. Ils ont présenté cette île qui fut autrefois réservée aux lépreux comme la destination finale de tous ceux qui s’étaient hasardés de s’opposer au diktat. Parmi ces “ rebelles “ Nelson Mandela.

Toute cette histoire vous la connaissez, elle fut racontée, voire romancée pour lui donner un caractère supportable, mais ça reste entre autres un épisode noir de l’existence de l’humanité.
Et pourtant même l’apartheid a eu une fin, Mandela est sorti de prison, il a même été président de la république Arc -en-ciel. Les barrières juridiques ont été abolies, les gouvernements se sont succédés, une politique de discrimination positive fut même approuvée et appliquée.

Mais en retournant en Afrique du Sud quinze ans après mon dernier passage, je me rends compte que ce poids de l’histoire pèse encore sur ce pays, surtout sur les noirs qui sont là mais pas forcément enthousiastes. Quelque chose n’a pas bien tourné. Quand on arpente les salles de détention de cette prison célèbre, je pense à Mandela et aux autres de ses compagnons. De la où ils sont, que pensent-ils de leur héritage? Devant la cellule de Mandela je me suis senti coupable de toutes ces plaintes que parfois nous émettions au regard de certaines conditions de la vie. Mais je me suis résolu de continuer à chercher les raisons de mon malaise croissant. Un indice me met sur la piste: c’est ma rencontre avec un policier de frontière. À mon arrivée il m’avait hélé pour me rappeler que lors de mon précédent voyage je m’étais permis de rester un jour de plus au regard de mon visa. Je dois payer pour encore entrer en Afrique du Sud. Malgré ma contestation d’avoir déjà à l’époque payé à l’ambassade Sud africaine à Kinshasa. Sans un reçu l’attestant, je me suis vu contraint de payer. Après cette épisode policière j’ai sympathisé avec ce jeune policier très professionnel qui m’a pris en sympathie. Apprenant que j’allais à Cap Town il a eu une forme de regard triste plein de mélancolie. Il me dira qu’il n’a jamais été à Cap Town depuis sa naissance.

Sud africain de naissance, travaillant dans une structure de l’État comment ne pouvait-il se payer un voyage à la ville côtière ? J’avais encaissé cette info sans beaucoup d’explication. Mais là devant la prison de Robben Island, mes pensées se sont tournées vers ce peuple africain et j’ai perçu de la tristesse dans leur regard. Oui Mandela a été libéré, oui des noirs sont arrivés au pouvoir, oui certains sont désormais célèbres, mais la grande majorité est coincée dans un écosystème capitaliste où on ne leur a pas laissé le temps de se préparer à la compétition. Ceci ne peut être une excuse, mais il faut aller au fond de la question et produire des faits explicatifs. Suspendant mes conclusions, je me suis résolu d’élargir mon champ d’investigation pour comprendre le malaise Sud africain. Ayant tant bénéficié de l’appui des pays africains dans le cadre de la ligne de front et du combat des progressistes dans le monde, les noirs d’Afrique du Sud sont comme tenus à un silence pour ne pas heurter la fierté des africains qui se sont battus pour eux pour vaincre le système de l’apartheid. Mais eux ils savent que les inégalités sont encore là, se creusant chaque jour. Ils ne peuvent se plaindre car on leur opposera la liberté d’entreprise, la loi des plus méritants.

Le lendemain pour m’éclaircir les idées, je prends la route du vin, qui va de Cap Town vers la ville de Stellenbosch, située à plus de cent kilomètres. Cette ville et la zone qui l’entoure est pleine des fermes, des plantations et d’usine agro-industrielles. C’est sur la route du vin que des évidences m’apparaissent. Sur plus de 100 km, les espaces verts sont clôturés par des haies des barbelés. Aucune terre n’est libre, tout semble être occupé par des propriétaires. Aux abords des certaines agglomérations, on voit des maisons de tole, des towns ship qui résistent au temps et qui symbolisent l’échec des certaines politiques. Je vois bien que ce pays a changé, certes, mais les noirs en majorité paysans n’ont pas eu accès à la terre. Il n’y a pas eu réforme agraire, les rapports de force étant ceux qu’ils sont, il est impossible d’espérer un changement substantiel dans le chef des Sud africains car ils ne peuvent faire concurrence aux riches propriétaires qui ont l’essentiel des forces de la production. Je peux alors comprendre la situation de mon ami le policier qui n’a jamais eu l’occasion de connaître son propre pays en profondeur faute d’opportunités financières. Humblement nous lui avons offert ce voyage pour qu’il y amène sa fiancée.

Sans se jeter aucune fleur, j’évoque ce cas pour illustrer la situation véritable de cette Afrique du Sud qui a beaucoup changé son image internationale, mais qui reste encore dans une forme d’apartheid comme il y en a dans beaucoup des pays africains où il n’existe pas de classe moyenne. Entre l’élite riche et prospère il y a une masse des gens, le peuple bloqué dans l’inconfort des conditions matérielles.

Ayant compris cela je me suis arrêté sur cette lancée n’osant pas suggérer une réforme agraire car ayant en mémoire l’exemple du Zimbabwe avec les fermiers blancs qui se sont vengés sur l’économie de ce pays. L’Afrique est en route vers elle-même. On comprend parfois qu’elle soit contente d’avoir franchi des étapes comme les indépendances, les démocratisations, la fin de l’apartheid, etc…Mais elle est et doit continuer son chemin pour retrouver les rivages de la prospérité partagée. Elle a les resources nécessaires, elle peut vraiment y arriver à condition de jouer solidaire et de se doter d’un moral de fer triomphant de toutes les aliénations qui freinent son authenticité.

WAK

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