Politique

Mukoko Samba du groupe des douze : « Le consensus exige un projet transcendant le possible pour aller vers les frontières de l’impossible »

Il est avant tout un universitaire dont la pensée pointue est un socle pour la construction des théories adéquates de politiques publiques. Mukoko Samba fait partie des douze personnalités qui plaident pour l’organisation d’un consensus électoral car ils estiment que le pays ne peut se payer une nième crise due à l’impréparation. C’est pourquoi avec d’autres ils ont décidé d’obtenir un consensus et des changements substantiels avant le délai de 2023. Ayant une sensibilité particulière il a accepté d’accorder à Geopolis hebdo une interview sur la perception qu’il a du consensus en question. Et on comprend aisément qu’il voue les choses avec une profondeur digne du lourd bagage qu’il a d universitaire mais aussi d’ancien vice premier ministre de la république.

1. Les forces économiques semblent obéir à une rationalité qui transcende les contingences politiques. Et pourtant pour la RDC vous liez la relance à l’obtention d’un consensus. Pourquoi ?

Réponse : C’est une erreur de dissocier le politique de l’économique, surtout dans un contexte de sous-développement. Et la raison est simple. Interrogeons-nous. Pourquoi les décisions économiques qui doivent être prises pour faciliter les activités productives ne le sont pas ? Par exemple, pourquoi les opérateurs économiques, conscients de l’existence d’une demande solvable des biens alimentaires, préfèrent les importer plutôt que d’investir dans la production locale ? Si les Congolais sont si friands de poisson, la logique aurait voulu que l’on développe des chaînes de production locales. Si cela ne se fait, il faut en déduire qu’il y a des maillons importants qui manquent et, très souvent, les maillons manquants sont du ressort du politique. Il y a clairement dans un contexte de sous-développement un problème d’absence ou d’insuffisance de coordination des actions entre les agents économiques et entre les décisions des acteurs politiques et celles des agents économiques.

Dans le cas plus précis de la RDC, le contexte politique a été très chargé ces dernières années. Le consensus de Sun City n’a visiblement pas pu effacer les conséquences des transitions ratées des années 1990 (la transition avec Mobutu et la « révolution » de l’AFDL). Pour preuve, l’UDPS d’Etienne Tshisekedi avait boycotté et l’enrôlement électoral de 2005, et le référendum constitutionnel de la même année, et les élections de 2006. L’alternance politique du 24 janvier 2019 n’a été possible qu’au prix de longs et épineux conciliabules qui ont fini par éroder la valeur d’un projet commun qui est censé cimenter les alliances politiques. Ces hésitations ne permettent pas la mise en œuvre des réformes devant susciter les motivations à la production, à l’investissement, à l’épargne, et à l’élargissement des marchés. Le consensus n’a pas ici le sens que lui donnent les politiques, c’est-à-dire le minimum possible ou le minimum tolérable. Au contraire, pour tirer un pays du sous-développement, l’on a besoin que le groupe (ou la coalition) politique au pouvoir ait la capacité d’imposer (d’abord en son sein, puis sur toute la société) un projet transcendant le possible pour aller toiser les frontières de l’impossible.

En langage purement économique, on dirait que le projet du groupe politique au pouvoir a pour mission de reculer la courbe de possibilité de production. Si le groupe politique au pouvoir ne sait même pas se doter d’un projet qui s’impose à l’ensemble des forces qui le composent, alors les chances de développement sont compromises.

2. A quoi liez-vous la crise actuelle, au Covid-19 ou à l’absence des politiques de riposte économique face au Covid19 ?

Réponse : La pandémie du Covid19 est juste venue exacerber une situation économique qui était déjà très tendue. N’oublions pas que l’économie congolaise est malheureusement demeurée très fragile aux chocs exogènes. Que la demande chinoise des métaux ralentisse un peu, les effets se font ressentir sur la balance des paiements, avec un décalage bien sûr.

Mais, à mon avis, bien avant la fermeture des unités de production industrielle en Chine et ailleurs à cause de la Covid19, la situation financière du pouvoir central était déjà très fragile. Pour s’en convaincre, vous noterez que certaines dépenses pourtant exigibles ne sont plus exécutées depuis plusieurs mois. C’est le cas des rétrocessions dues aux provinces. Vous noterez également que les salaires de la fonction publique représentent aujourd’hui une trop forte proportion des recettes internes. Pendant plusieurs mois, le gouvernement a dû recourir aux avances de la BCC pour financer son déficit quasi structurel.

Sur le plan monétaire, les réserves officielles de change sont demeurées à un niveau trop bas. Le programme de référence conclu avec le FMI s’exécute donc dans un climat difficile. La Covid19 n’a fait qu’amplifier les répercussions de ces déséquilibres. Il est vrai que le FMI et la Banque mondiale ont apporté des ressources pour atténuer les effets de la crise, mais l’ajustement budgétaire pourtant nécessaire tarde à être effectué, à mon sens, faute d’accord politique. Depuis plusieurs mois, tout le monde dit qu’il faut réduire le train de vie des institutions, en clair il faut réduire les dépenses de fonctionnement des institutions politiques, mais l’action tarde à être réalisée.

Au-delà de la nécessité de rétablir rapidement les équilibres macroéconomiques fondamentaux, il est plus que temps de poser la vraie question relative à la transformation de l’économie congolaise. Pour ce faire, un plan s’étalant sur au moins vingt-cinq ans est indispensable. Ce plan devrait identifier les vrais objectifs qui découlent d’ailleurs des puissantes dynamiques démographiques en cours dans le pays : la croissance démographique, l’urbanisation grandissante, la jeunesse de la population. Ces objectifs sont : l’emploi, les relations villes-campagnes, la municipalisation des agglomérations urbaines. De ces objectifs découlent les préalables devant guider les investissements publics dans le capital humain. Le plan devra aussi poser de manière claire la question essentielle de tout processus de développement économique : comment acquérir et utiliser au mieux les facteurs de production les plus rares, dans notre cas le capital et la main d’œuvre qualifiée. Ce n’est pas la terre qui nous manque, ni la main d’œuvre globale.

3. Le gouvernement a pris des mesures pour faire face au ralentissement de l’activité économique. Vous paraissent-elles adéquates ? Si oui, dans quels aspects et si non pourquoi ?

Réponse : Les mesures économiques qui avaient été annoncées par le gouvernement portaient sur la suspension de certains prélèvements pendant trois mois. Je constate que certaines mesures ont dû être abandonnées, car ne cadrant pas avec les mesures contenues dans le programme de référence conclu avec le FMI. C’est le cas de l’IPR sur les primes des fonctionnaires dont la suspension a été levée après juste un mois d’application. Certaines mesures, notamment la suspension de la collecte de la TVA sur certains biens essentiels, ont été prolongées au-delà des trois mois. Si l’objectif de la plupart de ces mesures était d’éviter l’accroissement des prix des biens de grande consommation, force est de constater que cet objectif n’a pas été atteint. Le plan gouvernemental contenait très peu de mesures d’appui aux entreprises et pourtant la crise due à la Covid19 a frappé à la fois la demande et l’offre. Il n’est jamais trop tard pour bien faire.

Il y a donc encore de l’espace pour rectifier le tir mais le socle, me semble-t-il, est l’ajustement budgétaire parce que, au vu de l’étroitesse de l’espace budgétaire, il y a des choix à faire pour à la fois élargir l’espace budgétaire et limiter le choc sur la monnaie nationale et sur les décisions des entreprises. Vous noterez par exemple que le train des mesures mises en œuvre depuis le début de la crise due à la Covid-19 ont touché des prélèvements faciles, comme la TVA dont la collecte se fait aussi à l’importation et pourtant les doléances des entreprises portent souvent sur des prélèvements sectoriels qui viennent se superposer à la TVA et à l’impôt sur le bénéfice.

4. Est-il possible d’évaluer le coût de cette crise liée à la Covid19 au regard du manque à gagner ?

Réponse : Il existe déjà une estimation officielle sue l’on trouve dans le rapport soumis par les services du FMI au Conseil d’administration de cette institution pour l’octroi d’une assistance financière urgente dans le cadre de la Facilité de Crédit Rapide (FCR), la baisse des recettes publiques a été estimée à 749 milliards CDF, l’augmentation des dépenses publiques à 166 milliards CDF, et la baisse des ressources via les bons de Trésor à 57 milliards CDF, soit un trou dans le budget de l’équivalent de 531 millions US$. Ce montant représente à peu près 10% du budget 2020 si celui-ci est apprécié du point de vue du réalisable et non de la loi des finances 2020 qui a besoin d’être corrigée avant la présentation du budget 2021.

L’appui du FMI sous la Facilité de Crédit Rapide (363,27 millions US$) va certainement aider à combler ce trou dans le budget. Mais le coût de la crise va certainement au-delà de ces 531 millions US$ parce qu’il faut aussi tenir compte du choc sur la balance des paiements et des effets indirects des revenus.

5. La crise a révélé l’insuffisance de notre système sanitaire. Que conseillez-vous qu’il faille faire pour sortir de cette situation dans l’avenir ?

Réponse : La Covid19 a clairement mis à l’évidence nos faiblesses institutionnelles essentielles : faible capacité de réaction rapide par manque des mécanismes d’anticipation, faible espace budgétaire, et surtout faibles liens entre l’État et le secteur privé pour faire face à des situations soudaines.

La crise a aussi mis en évidence l’état trop précaire de notre système sanitaire, à la fois du point de vue des moyens (infrastructures, ressources humaines, équipements appropriés) et des dispositifs de gestion. Une des leçons que nous devons tirer consiste à accélérer l’investissement public dans le secteur de la santé (y compris par une meilleure coordination des efforts du pouvoir central et ceux des provinces).

Il faut aussi encourager le secteur privé à produire localement les biens essentiels dont le système sanitaire a besoin car ne compter que sur les importations est intenable.

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