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RDC sécurité – EAC en 2019, SADC en 2023 : Les raisons d’une mutation de stratégie

Les chefs d’armées des pays contributeurs des troupes de la Force de la SADC en République démocratique du Congo élargie au Burundi, ont tenu une séance de travail à Goma. Cette réunion stratégique visait à définir un objectif stratégique efficace, en phase avec les réalités du terrain. La réunion de ce weekend fait suite à d’autres rencontres qui se sont déroulées quelques jours auparavant. Fin février, le président Félix Tshisekedi a rencontré son homologue de l’Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa, à Windhoek, en Namibie. Le président de la République démocratique du Congo a également rencontré le président du Malawi, Lazarus Chakwera. La réunion avait pour but d’analyser la situation sécuritaire en RD Congo. Le président du Burundi, Evariste Ndayishimiye, y a également participé. Le chef de l’Etat congolais ne manque plus une occasion d’aborder la question de la sécurité au Nord-Kivu avec ses homologues. Tshisekedi avait déjà eu une réunion avec Ndayishimiye à Kinshasa dix jours plus tôt, axée sur la question de la sécurité. A Windhoek, les quatre chefs d’Etat ont parlé de la RDC. Mais c’était à l’occasion d’un événement malheureux : les funérailles du défunt président namibien Hage Geingob. L’axe de l’Afrique australe se consolide et se renforce pour lutter contre les groupes armés qui infestent l’est du Congo, menés par le M23.

Le Burundi, pays d’Afrique centrale et orientale, s’est greffé sur cet axe d’Afrique australe. Comme Kinshasa, Bujumbura est à couteaux tirés avec Kigali. La RDC accuse le Rwanda de soutenir les rebelles du M23. Le Burundi accuse lui aussi Kigali de soutenir les rebelles burundais du Red Tabara qui se cachent dans le Sud-Kivu, à l’est de la RDC. Le Rwanda se réfugie dans les dénégations, se cramponnant sur l’argumentaire FDLR. Le Rwanda botte également en touche quant aux accusations portées contre lui par le Burundi.
Dans la région des Grands Lacs, le Burundi est devenu le meilleur allié du Congo en matière de défense. Actuellement, les autorités Congolaises consultent régulièrement leurs homologues Sud-Africaines et Burundaises et renforcent la coopération bilatérale sur les questions de défense. Il y a encore quelques semaines ou quelques mois, le mouvement se faisait en direction de Kampala et Nairobi sur les mêmes questions.

L’axe a complètement changé. Actuellement, les autorités de Kinshasa s’appuient beaucoup plus sur la SADC que sur la communauté est-africaine pour résoudre le conflit dans l’est du Congo. Au début de son premier mandat en 2019, le président Félix Tshisekedi avait forgé le chemin de l’Afrique de l’est. La SADC était considérée par une certaine opinion ( à tort ou à raison ?) comme proche de Joseph Kabila. L’ancien président n’avait-il pas choisi la SADC en août 2018 (seule organisation régionale) pour faire ses adieux et présenter son dauphin ?

Le chef de l’État Félix Tshisekedi s’était quant à lui ouvert au président Kényan d’alors Uhuru Kenyatta. Il s’agissait alors de trouver des alliés politiques dans la région. Le contexte en RDC était différent : il n’y avait pas de guerre du M23. Et en interne, la coalition FCC – CACH avait le don d’étouffer le camp présidentiel.

La communauté est-africaine était donc l’axe privilégié au détriment de la SADC. Le grand marché que représentait le Congo aux yeux de la communauté est-africaine s’ouvrait, avec son lot de consommateurs et d’opportunités. Mais il fallait d’abord aider le Congo à se débarrasser des groupes armés. Et lorsque la guerre du M23 a éclaté fin 2021, Félix Tshisekedi s’est tourné vers le bloc de l’Est pour obtenir un soutien. Des troupes des pays de l’Est ont été déployées, mais n’avaient jamais rencontré véritablement la préoccupation des autorités Congolaises déviant de fait du cahier de charge initial dans leur mission à l’est du Congo. Kinshasa reprochait aux contingents du bloc de l’Est d’être complaisants à l’égard des rebelles. C’est là qu’est né le premier clivage.

Pendant près d’un an, la RDC et les Etats membres du bloc de l’Est n’ont pas réussi à définir un plan stratégique et opérationnel commun contre les rebelles. Dans cette quête de paix en RDC, Tshisekedi devient président de la SADC en août 2022. C’est à ce moment que les liens avec le bloc sudiste commencent à se consolider et que la SADC devient une solution possible pour aider l’armée congolaise à pacifier la partie troublée du Congo.

En RDC, l’opinion était divisée entre ceux qui veulent que la SADC déploie ses troupes et ceux qui veulent que la RDC confie aux FARDC (l’armée congolaise) le soin de s’occuper des groupes armés. « Au lieu de doter le pays d’une armée efficace, le gouvernement a opté pour une politique de sous-traitance de la sécurité nationale à des forces étrangères et, pire encore, à des Etats qui sont derrière la déstabilisation du pays », ont dénoncé le leader de l’opposition Martin Fayulu et le prix Nobel Denis Mukwege. Ces deux personnalités ont cité le Rwanda et l’Ouganda comme étant « à l’origine de la déstabilisation du Congo ».

Ceux qui, en RDC, ont poussé à faire recours aux forces de la SADC, se rappellent qu’en 1998, ce sont les troupes du Zimbabwe, de l’Angola et de la Namibie qui ont mis en déroute les rébellions qui avaient atteint Kinshasa.
En RDC, clairement, quasiment tout le monde a tourné la page de la force de la communauté est-africaine et ne compte par sur elle pour éteindre l’incendie en RDC. Le lancement par Corneille Nangaa à Nairobi en décembre 2023 d’une nouvelle coalition armée visant à combattre en RDC a renforcé la méfiance des Congolais à l’égard de la communauté est-africaine. Les accusations portées par certains membres de la société civile à l’encontre de l’Ouganda, qui aiderait également le M23, renforcent le sentiment que la solution ne peut venir du bloc de l’Est. Martin Fayulu et d’autres leaders politiques demandent même aux autorités congolaises de retirer la RDC du bloc de l’Est, auquel le pays a adhéré en 2022. Les autorités congolaises ont rejeté à plusieurs reprises cet appel au retrait, arguant que la RDC a des avantages économiques à rester dans le bloc de l’Est.

Patrick Ilunga

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