Editorial

Édito : Justice et chasse aux sorcières, mince frontière

On ne le dira jamais assez, les sociétés humaines ont besoin de la justice, comme l’organisme a besoin de l’Oxygène, cette justice qui permet à chacun de bénéficier de ses droits, permet aussi à la société de se projeter dans l’histoire en ayant une base éthique solide et des valeurs à transmettre aux futures générations. Seulement, quand on dit cela, on a donné un contenu moral à la justice, mais pas une substance impersonnelle, d’autant plus que la justice est toujours le jugement imposé de la pensée dominante et elle se donne au nom du pouvoir incarné. C’est pourquoi dans l’histoire humaine, des jugements furent rendus au nom des rois alors qu’au fond, c’était le triomphe d’une pensée unique. M’inspirant de la semaine pascale, je peux évoquer l’accusation, la condamnation et la crucifixion de Jésus-Christ au nom de la loi romaine à laquelle fut jointe la loi juive. Et pourtant l’histoire reconnaitra qu’il était innocent.

Voilà la barrière intellectuelle que je mets à cette réflexion. En revenant en RD Congo, où au nom de l’État de droit, un homme politique de premier plan est aujourd’hui écroué à la prison centrale de Makala. Au-delà du fait lui-même qui devrait bénéficier du principe du contradictoire et de l’intime conviction du juge, il y a, entretemps, des prises de positions idéologiques qui s’enflamment d’enthousiasme et qui estiment que le moment est venu de donner l’exemple en mettant la main sur de grosses pointures. Cette euphorie générale peut provoquer une chasse aux sorcières, qui serait la désignation d’une catégorie des personnes à la vindicte populaire, au motif qu’elles remplissent le profil du coupable du moment.

Il existe tout de même la présomption d’innocence qui apparaît comme un leurre dans cette affaire. Au nom de cette tendance qui se retrouve malheureusement dans plusieurs sociétés, Il y a eu des inquisitions au nom desquelles plusieurs personnes furent brûlées vives. On ne peut rendre justice sans s’interroger si celle-ci n’est pas celle des vainqueurs. La société congolaise, prise en otage par les réseaux sociaux, est en train de perdre la capacité du détachement face aux événements et se contente d’une justice expéditive.

La situation qui arrive au leader de l’UNC est à plusieurs titres symptomatique de cette capacité que l’on a, à pratiquer ce sport de la chasse aux sorcières. Déjà, il y a la circulation des listes des personnes qui doivent être arrêtées au nom de cette justice et, sans s’émouvoir le moins du monde, plusieurs personnes acceptent de violer les droits des autres, au simple motif que la prise de parole
participe à l’amélioration de l’État de droit. Il est encore temps que les magistrats se ressaisissent en évitant de populariser les actes judiciaires et d’en faire des objets des commérages de rue. La
Justice est trop sérieuse pour qu’au nom d’aucun prétexte, elle ne serve à la
cause des forts et qu’elle soit le sceau de leur victoire sur les faibles. Il existe dans chaque peuple une forme de besoin innommable de participer à des actes d’exécution physique, voire morale. Ce désir que l’on voyait bien dans les arènes romaines où les gladiateurs, se battant pour leur vie, étalaient néanmoins les acteurs d’un spectacle de loisir pour le peuple ayant besoin du sang.

Comment se réjouir de ce qui peut devenir la fin d’une vie ? L’État de droit n’est pas la chasse aux sorcières. Mais parfois la frontière est tellement mince que certains acteurs passent facilement de l’une à l’autre frontière, sans état d’âme.

Adam Mwena Meji

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