Editorial

Éditorial : Le poids des mots, la violence du discours

Trois jours après les déclarations du président Rwandais sur les successives crises au Congo, une grande partie de l’opinion publique et de l’intelligentsia Congolaise ne digère pas encore la présomption de l’homme de Kigali.

Chacun s’est réveillé, persuadé d’avoir eu un cauchemar, mais à l’ère de la technologie de vitesse, le discours prononcé à Cotonou, a été filmé et voilà que les petites vidéos, enregistrées dans les téléphones, tournent en boucle et rappellent qu’il ne s’agit pas d’un mauvais rêve. L’homme fort de Kigali a livré le fond de sa pensée qui a toujours nourri cette interminable guerre.

De toute évidence, il ne s’est nullement agi d’une maladresse de communication, comme certains analystes peuvent le prétendre. En réalité, le rideau opaque qui cachait le dirigeant Rwandais est tombé, et voilà les tentations d’une hégémonie communautaire qui le hantent, se dévoilent au grand jour, après tant d’années de revendications alambiquées.

Les connaisseurs de la région le savent et l’ont déjà dénoncé il y a plusieurs années : il existe, à Kigali, un cercle des gens qui ont toujours estimé qu’une partie du Rwanda avait été cédée au Congo. A ceux-là, des scientifiques de renom ont donné une réponse édifiante.
Le débat qui fait surface n’est pas un fait isolé non plus. Deux des ministres Rwandais l’ont également tenu dans deux différents forums.
Mais ce débat est clos et le Congo n’a même pas envie de réclamer des terres auprès de ses 9 voisins, sinon ce sera un chamboulement sanglant et inutile.

Chacun sait que la profession de foi et les insinuations des autorités Rwandaises portent en elles les germes d’un conflit inouï. L’Afrique a subi sa propre histoire du fait des actes irréfléchis des pouvoirs occidentaux. Mais la plaie est refermée depuis, et le regard est tourné vers le développement, le vivre-ensemble. Quelle est, diable, la mouche qui a piqué le président Rwandais pour exhumer un discours qui risque d’enraciner la haine de l’autre, dans une région déjà très fragile ?

Après avoir exploité à grands cris le thème des FDLR; la lancinante question de la sécurité du Rwanda et la soi-disant collaboration entre « les génocidaires » et l’armée Congolaise, voilà Paul qui se rêve en Bismarck bis et défenseur d’un peuple d’un autre État ! « C’est une provocation de plus », a répondu le porte-parole du gouvernement Patrick Muyaya. L’homme de Kigali a déjà dit à plusieurs reprises que la paix vaut mieux que des richesses. Cette paix, l’homme d’État Rwandais semble la chercher par un périlleux détour du fusil et des bruits des bottes.
Il parle de « son peuple » qui « a été divisé », il se veut le défenseur de ce même peuple qui ne serait pas accepté au Congo. Calquant la réalité rwandaise sur la RDC, il parle d’une minorité, objet de discrimination…dans un pays ayant plus de 450 tribus avec plus d’une centaine d’ethnies qui peuvent revendiquer le qualificatif de minorité ! Alors de quelle minorité le président Rwandais parle-t-il toujours sans arrêt ? Dans une nation aussi plurielle que le Congo, une communauté qui se singularise avec des revendications propres à elle, court le risque de se retrouver ostracisée. C’est le revers de cette revendication, malheureusement.

Chacun doit se remettre en cause, car au bout du compte, aucune nation ne peut se développer sur base d’une hégémonie imposée sur l’autre. Aujourd’hui, si le Congo semble une proie facile, le vent peut tourner vite et les vaincus d’hier, qui ruminent une revanche, peuvent toujours revenir et vouloir se venger. Et ce sera l’engrenage de la violence. Est-ce cela l’Afrique des Grands Lacs que l’on veut ?

Patrick Ilunga

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