Politique

RDC/Processus électoral : l’impasse. Quelle voie de sortie ?

La République Démocratique du Congo semble à la croisée des chemins. Trois ans après l’élection qui a amené la première alternance pacifique de l’histoire du pays, les acteurs politiques se préparent à se remettre à la compétition électorale. Mais les opérateurs politiques peinent à s’accorder sur les règles du jeu avant les joutes électorales. Premiers écueils: la loi sur la commission électorale et la désignation des animateurs de ladite commission. Comment vaincre ces écueils et surmonter le défi du temps? C’est justement à ce niveau que le bât blesse. Le double défi d’organiser dans le délai légal un processus apaisé semble relever d’une tâche herculéenne. Si pour les uns, il convient d’avancer avec le processus, quitte à laisser les grincheux sur le quai, pour certains autres, il convient coûte que coûte de trouver un consensus, parce que « les élections sont une confrontation entre diverses parties. Mais ce processus de confrontation doit redevenir un jeu politique qui doit se jouer avec des règles, avec un arbitre, avec des mécanismes qu’il faut construire consensuellement ». Géopolis Hebdo est allé à la rencontre des acteurs politiques représentant toutes ces tendances. Dans les lignes qui suivent, votre tri hebdomadaire vous propose les réponses du professeur Jacques Djoli, de Françis Kalombo et de Verlain Kayisamba. Tous juristes, hommes de droit, ils livrent leurs propositions pour un processus électoral réussi.

Jacques Djoli, acteur politique, professeur de droit, constitutionnaliste: « Il faut construire les ponts entre les différents acteurs »

GH: Professeur vous êtes un homme politique de premier plan vous avez été Vice-président de la CENI; en plus d’être politique, vous êtes aussi technicien. Comme une partie de la société congolaise vous avez dû constater que le processus électoral est dans une impasse. Quelles sont les voies de sortie pour trouver une solution?

Jacques Djoli : Une élection est par principe un processus de confrontation entre diverses parties. Mais ce processus de confrontation doit redevenir un jeu politique et un jeu politique qui doit se jouer avec des règles, avec un arbitre, avec des mécanismes qu’il faut construire consensuellement, dans la conscience et non dans la dissension, dans la méfiance. Si vous allez dans la méfiance, vous construisez automatiquement un processus chahuté, un processus contesté et au bout de la chaine, la contestation des institutions illégitimité de celles-ci, élément qui est le fondement de notre crise génétique. Ce qui nous voulons sortir de cette crise, nous devons construire un processus sur base de la confiance, sur base de la négociation. Donc si nous avons des difficultés aujourd’hui, ce sont les mêmes difficultés qui ont eu lieu en 2018 : il y a eu un processus où certains ont été exclus, où le processus a été imposé, même si on a vu par après que les machines à voter n’étaient pas un monstre, mais son introduction n’a pas été discutée, les cadres de concertation n’ont pas du tout fonctionné normalement. C’est le même schéma qu’il y a eu en 2011 avec une révision constitutionnelle cavalière et les changements des règles du jeu avec une CENI qui n’avait pas la confiance des acteurs. Donc, il nous appartient tous, en tant que responsables, de savoir si nous voulons basculer d’un processus contesté vers un processus accepté. L’élément structurant de la démarche c’est la confiance. Donc il faut faire ce que disent les anglais : to build the bridge. Il faut construire les ponts entre les différents acteurs pour construire la confiance. C’est cela la voie de sortie.

GH: Lorsque vous dites qu’il faut une confiance entre les différents acteurs, est-ce que vous comprenez la position de la coalition Lamuka par exemple qui veut qu’il y ait consensus, notamment sur la loi de la CENI. Que vous inspire une telle position ?

J. Djoli: Je ne m’inscris pas dans un camp ou dans un autre, parce que vous m’avez invité pour donner mon expérience. Les postures évoluent. Aujourd’hui je suis très heureux par exemple que nos amis du FCC développent les discours que développaient hier ceux qui étaient dans l’opposition. Donc il est important qu’en ce qui concerne la CENI, la loi électorale, en fait, toutes les lois liées à la désignation des acteurs politiques, ce qu’on appelle les lois d’arbitrage, nous puissions avoir une vision commune. C’est ça d’ailleurs, cette base commune qui constitue le fondement de la démocratie. Mais il faut aussi comprendre que la démocratie se construit par le compromis. Lorsque vous voyez aux États-Unis qu’il y a les républicains et les démocrates, il y a des points sur lesquels ils doivent trouver un compromis. Un régime politique démocratique est un régime modéré où chacun quitte sont extrême pour venir rencontrer l’autre. Le consensus c’est ce qu’on appelle l’accord général sur un certain nombre de principe. Ce n’est pas l’unanimité,
mais c’est la convergence des vues où chacun fait un effort. Dans un État où les parties prenantes sont fragmentées radicalisées, opposées, vous n’allez pas construire la démocratie. Il faut un sens de dépassement, surtout sur cette question électorale-là. Ce que je pose, ce sont des principes de fonctionnement de modèles électoraux. Si vous lisez la loi, on exige que la loi électorale ou la loi portant sur la CENI soit adoptée avec une majorité plus ou moins qualifiée parce que cette loi fait partie des ce qu’on appelle le bloc de constitutionnalité. Cette loi doit faire l’objet de convergence, des discussions de toutes les forces politiques, parce qu’il s’agit de la désignation d’un arbitre et même quand nous étions jeunes même dans le jeu au niveau de football, avant d’aller à un match, il faut qu’on se concerte sur les règles techniques. C’est ça l’esprit de la loi organique de juillet 2021. C’est à dire, nous mettons en place un organe de gestion qu’on aurait voulu avoir de type paritaire. Ça c’était la loi Lutundula: 5, 5, 5. Cinq de la majorité, Cinq de l’opposition et cinq de la société civile. Les forces politiques entre elles se sont concertées pour dire on va faire 6 – 4, mais on laisse à la société civile 5 et la centralité de cette loi c’est que les forces restent autonomes et négocient dans leurs articulations, c’est à dire que les 6 membres de la majorité, doivent être désignés par la majorité et cette majorité va présenter à la commission paritaire un PV de désignation de leur membres; l’opposition va faire la même chose ; la société civile et ses trois sous-composantes vont faire la même chose. Maintenant il appartient à chaque corps de trouver comment il s’entendent pour faire ces PV là à partir de leurs règles spécifiques de travail ou leur charte. La majorité de rencontre pour désigner 6 membres et dans les 6, elle désigne les quatre qui vont entrer dans le bureau. La ratio legis de cette loi c’est le mécanisme de concertation. C’est vrai que ça peut être une ideéalité. C’est pourquoi on dit il faut aller par consensus. Le consensus ne veut pas dire que un groupe a tort, un groupe a raison. Les deux groupes doivent accepter de trouver un compromis. La nécessité est, dans une démocratie consensuelle, d’avoir le sens du compromis. Si vous n’avez pas le sens du compromis, vous amenez le système vers le blocage. Or dans la démocratie on ne peut pas avoir des blocages, on doit se faire des concessions mutuelles.

Francis Kalombo, Cadre de Ensemble pour la République (Ensemble): « il faut un dialogue pour trouver un consensus »

Géopolis Hebdo (GH) : Monsieur Francis Kalombo, vous êtes acteur politique congolais, plus précisément communicateur du parti politique Ensemble pour la République (Ensemble), un parti proche du pouvoir.
Face à l’impasse du processus électoral actuelle, quelles sont pour vous les voies de sortie ?

Francis Kalombo (FK) : Pour sortir de cette situation, il faut que les hommes politiques puissent dialoguer.
parce qu’il s’agit ici de mettre en place cette structure pour pouvoir organiser les élections.
Nous n’allons pas nous voiler la face, non plus jouer à l’hypocrisie. Les acteurs politiques sont ceux qui, chacun pense tirer la couverture de son côté afin de pouvoir déjà avant les élections se rassurer que la ceni va travailler en faveur de son Camp politique.
Ce qu’il faut faire en ce moment c’est le dialogue pour pouvoir libérer ces structures au sein desquelles vous avez des confessions religieuses, qui sont pris en otage par la classe politique.
Les congolais ont besoin d’avoir une structure qui assure.
Dans le cas contraire, nous aurons posé des jalons de contestation des élections dès maintenant puisque s’il n’y a pas accord entre acteurs politiques ou la majorité de la classe politique, il se posera toujours un problème et suspicion d’entrée de jeux.
Ce qui fait que même les élections à venir risque de porter des contestations.

GH : Parce que vous évoquez le dialogue, celui-ci ne sera pas celui du partage de pouvoir comme toujours ?

FK : Le dialogue dont je parle aujourd’hui n’est pas celui du partage de pouvoir mais plutôt, un dialogue pour trouver un consensus pour la désignation de nos délégués au sein de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI). Donc, ici ce n’est pas le dialogue entre hommes politiques pour se partager les postes. Au contraire, les postes sont déjà partagés et il y a une loi à respecter. Maintenant, c’est (…) la désignation des animateurs qui posent problème.
Voilà pourquoi, nous demandons aux autres de dialoguer mais un dialogue franc pour que l’avenir ne soit pas morose comme ce que nous avons connu par le passé dans notre pays.

GH : Pourquoi un dialogue entre politiques alors que la désignation des membres de la CENI est de l’apanage des confessions religieuses ?

FK : Il ne faut pas que nous puissions nous voiler les faces. Donc, la réalité est que ce sont des hommes politiques qui tirent les ficelles de partout pour que cette composante ne puisse pas rendre un bon diagnostic simplement parce que, les uns ont des penchants. D’autres ont été sollicités.
On sait ce qui se passe, je pense qu’il faut être réel avec soi-même. Il faut que les hommes politiques se rencontrent, discutent pour libérer cette structure pour avoir des bonnes élections.
Et c’est ça la clé du problème, puisque personne ne veut que cette structure puisse être neutre. Tout le monde veut qu’elle soit politisée en sa faveur. Voilà pourquoi on tombe dans cette situation.

GH : Ne pensez-vous pas que le dialogue sollicité tirerait encore les choses en longueur alors que la date des élections approche à grands pas ?

FK : Si les gens sont animés de la bonne volonté, c’est ce qui nous manque aujourd’hui dans notre classe politique, que ça soit pas seulement dans des discours mais dans les actes, je parie que les choses vont aller vite.
C’est question même d’une heure.
Aujourd’hui, les confessions religieuses sont prises en otage par des hommes politiques. Vous avez souvent ce qu’on appelle les églises de réveil qui, à chaque fois, penchent vers le pouvoir en place. Elles sont donc prises en otage et ne savent pas évoluer parce qu’elles ne sont pas libres. Mais le jour où elles vont se libérer des politiques, elles prendront des décisions qui iront dans le sens que la population veut.
Ici, c’est l’occasion pour moi de souligner que les dialogues dont je demande ne sont pas des dialogues entre confessions religieuses mais entre les politiciens qui tirent des ficelles derrière. Qu’ils dialoguent bien pour que nous puissions trouver rapidement des solutions.

Maître Verlain Kayisamba, avocat et acteur politique: « je conseille à l’Assemblée nationale d’entériner le choix des confessions religieuses »

GH: Vous êtes juriste et acteur politique, vous avez dû constater, comme beaucoup des Congolais que le processus électoral est presque est dans une impasse. Selon vous, quelles sont les voies de sortie ?

Verlain Kayisamba : Je vais peut-être vous étonner et vous dire que pour moi, nous sommes pas dans une impasse. Nous connaissons tout simplement un retard regrettable dans l’organisation, sinon dans les préparatifs tendant à l’organisation des élections, ce que l’on doit regretter. Mais seulement je pense que cela est inhérent au caractère discipliné des Congolais. J’allais dire le caractère immature. Je dis immature parce que je ne veux pas dire comme Mutinga ( Modeste Mutinga, Ndlr) qui dit « inconscience », mais c’est de l’immaturité quand-même qui frise cette inconscience, parce que les Congolais n’aiment pas ou ne savent pas respecter les textes qui les régissent. C’était les acteurs politiques, maintenant c’est allé jusque vers ceux que l’on pouvait prétendre être des « saints » c’est-à-dire nos pères religieux. Ceux-là même qui avaient des leçons à donner aux autres. Et c’est là que je peux revenir à ce que mon professeur Lwamba Katansi s’était posé comme question :  » Cus custudat custudent », c’est-à-dire  » qui gardera le gardien ? ». Qui nous sauvera, si jusqu’au niveau des religions nous avons ce genre de comportement? Alors vous dites qu’est-ce que nous devons faire pour sortir de ce retard ? Je ne veux pas qu’on dise que c’est une impasse parce que jusqu’ici, je ne pense pas que nous soyons dans une situation telle que nous ne pouvons pas nous en sortir. Alors pour moi, je dis et je répète que la sortie de cette situation ne peut être donné que par le respect des textes. Le respect des textes voudrait qu’on respecte notamment la charte qui régit les confessions religieuses. A ce que je sache, en ayant suivi les uns et les autres, il semble,
et c’est la vérité d’ailleurs, je voudrais pas utiliser le verbe sembler, il est dit dans cette charte que le consensus est le mode de désignation du président de la Commission électorale nationale indépendante et si le consensus n’est pas trouvé, c’est le vote.

Alors, on doit tout simplement respecter ce que dit la loi, leur loi à eux, eh bien, passer au vote. Il me semble que c’est ce qui a été fait et 6 / 8 ont voté pour un individu dont on ignore le nom jusqu’ici. J’ai entendu dire que il s’agissait de Dénis Kadima ou bien parce que, il faut maintenant que l’Assemblée nationale puisse entériner ce choix, l’Assemblée nationale doit tenir compte du choix qui a été opéré par la majorité de ceux qui avaient été appelés à voter, c’est-à-dire les 6 confessions religieuses, excepter l’Église catholique et l’Église protestante.

GH: Ça c’est en ce qui concerne le la désignation des animateurs de la CENI. Maintenant, que vous inspire la position de certaines structures politiques qui réclament le consensus. Pour elles il faut revenir à la loi…

V K: C’est encore cette inconscience que dénonce Mutinga. C’est même une malhonnêteté de certains acteurs politiques qui sont habitués à des conciliabules entre eux pour se partager quelques parcelles de pouvoir. Je comprends, nos politiciens ne font la politique que pour remplir leur ventre. Comme j’ai l’habitude de le dire, leur engagement politique ne se mesure qu’à la longueur de leur tube digestif. Vous avez cité quelques noms des structures politiques, mais regardez bien, ce sont des gens qui sont essoufflés, non seulement par rapport aux idées, mais aussi par rapport aussi aux moyens, j’entends les moyens financiers.
Qu’est-ce qu’ils vous disent ? « Retrouvons-nous autour d’une table, essayons de partager le gâteau, occasions pour nous d’accéder aussi aux fonction publiques afin de nous faire une petite santé financière, laquelle santé financière nous permettrait de faire face aux exigences ou aux dépenses qu’imposent la campagne électorale. Voilà. C’est tout ce qu’ils veulent. Moi je peux proposer, je conseille non seulement à l’Assemblée nationale, mais aussi au président de la République de ne pas céder à ce petit chantage, de ne pas céder à cette proposition maléfique ! Je pèse mes mots maléfique parce que ces gens-là veulent que nous puissions tourner autour du pot.

GH: Vous appelez ça « petit chantage », Lorsque certains disent par exemple qu’il faut dépolitiser la CENI, cela n’est-il pas un argument qui tient quand-même ? Un processus aussi clivé peut être est le prélude à des contestations qui peuvent amener des affrontements et même mort d’homme. Ça, ce n’est pas à négliger…

V. K: Vous y êtes arrivés ! Les difficultés, sinon les mésententes qui sont-là peuvent amener des morts, mais je parlais de chantage et vous êtes arrivés à me rejoindre sur le terme chantage.  » Ça peut amener des morts » mais qui a dit qu’il y aura des morts dans ce pays si telle personne ou telle autre personne ne se retrouve pas dans le processus qui est organisé ? Qui a dit ça ? Qui s’apprête à tuer les Congolais parce que lui ne se retrouve pas dans le processus électoral ? Et d’ailleurs qu’est-ce que vous entendez par dépolitiser ? Dépolitiser c’est quoi ? Parce que déjà, j’avais entendu cette chanson de dépolitisation de la CENI à partir du moment où on était en train de mettre en place la loi sur l’organisation et le fonctionnement de la CENI. Mais cette loi est passée. Elle a été adoptée à l’Assemblée nationale et confirmée par le Sénat et promulguée par le Président de la République. C’est-à-dire la composition même du bureau de la CENI a été faite selon que les politiques l’avaient voulue. Maintenant est-ce que la dépolitisation signifie que on doit mettre à la tête de la CENI la personne que moi je veux? Que vous voulez ? ou que tel ou tel autre veut ? Parce que de toute façon on devrait y mettre au moins une personne, cette personne-là, comme tout être humain, devrait avoir ces opinions, ses positions, ses penchants. Si on met une personne qui a un penchant vers vous ou à tout le moins par présomption, moi je vais dire non. Si on met une personne qui a un penchant vers moi, vous allez dire non. On finira par mettre quelqu’un qui sera un être humain qui aura ces défauts, ces tares inhérentes à l’être humain. Pour moi on doit évoluer pour gagner du temps afin que nous ne puissions pas tomber dans des choses du genre « glissement », du genre « retrouvons-nous autour d’une table pour discuter le partage du gâteau, ainsi de suite. Moi je demande au président de la République, je demande à l’Assemblée nationale, au parlement, dans une certaine manière de pouvoir évoluer, tenir compte du choix qui a été fait par les confessions religieuses, l’entériner et aller de l’avant. L’essentiel pour nous c’est d’organiser les élections dans les délais. Je pense que dépasser de l’organisation des élections aura plus des conséquences néfastes que entériner le choix des confessions religieuses qui devrait nous permettre d’organiser les élections dans les délais.

Propos recueillis par Patrick Ilunga et Édouard Funda

 

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