Economie

Volatilité du cadre macroéconomique : Amisini D. Matata : « Le diagnostic de la situation macro-économique doit précéder les prescriptions des politiques »

La pandémie de la Covid-19 a renforcé les difficultés du quotidien de la population congolaise. Depuis, l’économie congolaise a enregistré un recul et connait sans doute une certaine surchauffe sur le marché de change. Tout le monde en sait quelque chose et chacun en va de sa religion. Afin de vous apporter la clarté des choses, un débat exclusif a été organisé par votre media républicain, Geopolis, à travers son émission Espace républicain, co-animée par Willy Kalengay et Eric Tshikuma, autour du thème de la volatilité du cadre macroéconomique en République Démocratique du Congo (RDC), avec un expert économiste et conseiller économique du ministre congolais des finances, M. Amisini Dandy Matata.

William Albert Kalengay : C’est avec joie que nous vous recevons ici. Vous êtes d’accord avec nous que nous sommes effectivement dans une situation de crise, mais il n’y a pas pire crise que celle qui n’est pas expliquée. Dites-nous, aujourd’hui quand on parle de l’explosion du cadre macroéconomique, les indicateurs ont changés, à quoi fait-on allusion ?

Amisini Dandy Matata : Merci. Pour répondre à votre question, dans notre contexte nous pouvons nous concentrer sur deux indicateurs. Il s’agit du taux de change et du taux d’inflation.
Avant d’aller plus loin, j’aimerais m’inscrire dans la trajectoire de l’économiste américain, Danny Rodrigue qui dit qu’avant de faire des prescriptions notamment devant des problèmes d’ordre économique, il faut poser un bon diagnostic. Et avant de poser ce diagnostic, il faut lever toute équivoque d’ordre sémantique sur ce qu’est l’inflation, le taux de change, la dépréciation ou encore la volatilité macroéconomique.

Pour faire simple, l’inflation est un phénomène économique qui se traduit par une augmentation généralisée et durable des biens et services sur le marché sur une période donnée. Cette augmentation conduit à ce que les économistes appellent, une perte du pouvoir d’achat des consommateurs. Exemple : Si j’ai trois cent franc congolais et que le pain coute cent franc, j’aurais trois pains. Mais si le prix passe à cent cinquante je ne pourrai plus en acheter que deux. Ça veut dire que je dispose du même revenu, mais à cause de l’augmentation de prix, j’ai perdu ma capacité d’acquérir la même quantité des pains sur le marché. Le taux de change est tout aussi simple, c’est le prix que nous payons pour acquérir la monnaie étrangère. Dans notre cas il s’agit de la quantité des francs congolais qu’il faudra débourser pour acquérir un dollar américain. Naturellement nous savons que lorsqu’un bien devient relativement rare sur le marché, son prix a tendance à augmenter, de même lorsqu’il devient relativement abondant son prix diminue. C’est aussi le cas pour la monnaie, lorsque le dollar se fait rare sur le marché, son prix qui n’est rien d’autre que son taux des changes va augmenter. Cela consacre la perte de sa valeur de la monnaie nationale et on dira qu’elle s’est dépréciée. Lorsque le taux diminue, la monnaie locale gagne de la valeur dans ce cas on parle d’appréciation monétaire.

WAK : Parce-que le taux d’inflation a changé le prix sur le marché, dans quelle proportion ce prix a-t-il changé, est-ce d’une manière quantitative… ?

ADM : Merci, en réalité tout ce qui concerne le taux des changes ou l’inflation, parce-que cela impacte directement sur le pouvoir d’achat des ménages et le bien-être, c’est toujours très important quelques soit les variations. Le taux d’inflation est comparable à la température du corps humain, il peut être bénéfique à l’expansion économique tant qu’il reste dans les marges contrôlables.
Alors dans notre cas, si l’on considère le premier trimestre de l’année 2020, c’est là qu’il y a des problèmes constatés, le d’inflation annualisé est estimée autour de 31%, et si l’on regarde la tendance hebdomadaire en comparaison de l’année 2019 la formation des prix intérieurs est quatre fois plus importante. C’est très préoccupant. En ce qui concerne le taux de change, sur la même période, la monnaie a perdu à peu près 14% de sa valeur.

Eric Tshikuma : Je retiens deux chiffres, le premier 31% de taux d’inflation annualisée du premier trimestre de l’année 2019, le second 14% de la dépréciation. Quelles sont les causes principales de ce choc économique, qu’est ce qui explique cette instabilité de prix, au point que ça cela semble dépasser les autorités ?

ADM : Permettez-moi de faire une digression utile. Dans le débat public, il y a généralement deux types d’énoncés. Dans le débat public comme dans la vie en général, il y a généralement deux types d’énoncés. Il n’y a certains énoncés qui peuvent faire l’objet d’un débat d’opinion. C’est par exemple le cas lorsqu’on souhaite s’exprimer pour ou contre l’l’euthanasie. Ici, les simples opinions peuvent être valablement avancées. Mais il y a un second type d’énoncés qui eux ne peuvent être débattus qu’à la lumière des faits vérifiés et objectifs. Ces énoncés sont totalement indifférents de nos opinions et de nos sentiments. Par exemple, quand on additionne 2 plus 2, peu importe nos opinions respectives, le résultat sera toujours égal à 4. Aujourd’hui jusqu’à la fin du monde. La question de déterminer les causes de l’inflation et de la volatilité du taux de change se rapproche beaucoup plus de ce type d’énoncés. C’est pour cela que je vais faire être le plus objectif et factuel possible sur cette question.

Une analyse rigoureuse sur base des données disponibles, nous a permis d’établir que la dépréciation monétaire et l’inflation que nous observons actuellement s’explique principalement par 4 facteurs majeurs. Premièrement, il s’agit du choc de la Covid-19.

Toutes les économies du monde ont éprouvé des difficultés énormes à la suite de la pandémie causée par la Covid-19. En effet, l’annonce de l’état d’urgence, avec comme entre autres les mesures liées au confinement, a sans doute poussé les ménages à anticiper sur base des informations à leur disposition les principaux postes des dépenses à prioriser. Ce changement brusque et collectif dans le comportement des ménages provoque généralement des tensions inflationnistes, en ce sens que la pression de la demande exercée sur une catégorie donnée des biens ou services dans un contexte où l’offre est quasiment limitée et rigide (confinement, contraction de l’économie, fermeture des frontières, etc.) implique un réajustement des prix à la hausse.

Par, la contraction de l’économie mondiale a affecté le niveau de demande Globale. Dans le contexte d’une économie mondiale au ralenti, notamment en raison des mesures sanitaires strictes, et d’une baisse des cours des matières premières sur le marché international, les revenus que l’État tire de l’exportation des produits miniers et pétroliers ne peuvent que baisser. Or, notre pays a la malheureuse caractéristique structurelle de dépendre fortement de l’activité extractive pour ses revenus et ses réserves de change. L’industrie minière représente à elle seule près du tiers du Produit Intérieur Brut et couvre la quasi-totalité des recettes d’exportation du pays. Cette industrie est cependant, fortement exposée aux fluctuations du marché international qui échappent à la volonté du Gouvernement, comme la crise actuelle nous le démontre une fois de plus

WAK : Dans les années passées, on a beaucoup parlé de la capacité de résilience de notre économie. Qu’est ce qui explique que face à la Covid-19, notre économie a subi le choc violant et n’a pas pu être résiliente ?

ADM : Il faut ici mentionner deux faits. Le premier est que le choc de la Covid-19 est global. Et d’ailleurs, ce qui se passe chez nous en termes de volatilité macroéconomique n’est pas inédit. Si vous regardez la tendance de la valeur de la monnaie en Afrique du sud, le Nigeria, l’Angola, Ghana, elle dégringole.
Le débat sur la résilience est un débat très pertinent, il faut déployer les efforts nécessaires pour renforcer la résilience. Il ne s’agit pas d’un événement mais un processus qui se bâtit dans le long terme, dans une logique de cohérence temporelle et de continuité de l’action publique.

WAK : A propos du deuxième facteur…

ADM : L’incertitude créée par les tensions politiques de plus en plus récurrentes entre les différents acteurs, n’est pas sans lien avec l’évolution des fondamentaux de l’économie. Plusieurs études et travaux de recherche ont établi que les économies instables politiquement sont aussi les plus volatiles économiquement. Il existe donc un lien potentiellement significatif entre l’incertitude provoquée par l’instabilité politique et l’évolution du niveau général des prix autant que le taux de change.

WAK : Quand vous parlez d’instabilité vous faites allusion à ce qu’il n’ait plus des marches, des contestations, qui sont pourtant considérées comme des expressions démocratiques… ?

ADM : Je crois qu’il faut placer toute expression démocratique dans son contexte. Il n’est pas ici question de remettre en cause le droit d’expression du citoyen garanti par notre constitution.
Seulement d’un point de vue objectif on va regarder l’incidence de chaque action sur les signaux que l’économie émet. Et les signaux qui sont émis dans un climat d’incertitude font que les anticipations des agents économiques vont impacter négativement sur la marche de l’économie.

Étant rationnels, les agents économiques anticipent non seulement une détérioration future de l’environnement politique mais aussi les capacités du Gouvernement de mettre en œuvre des mesures de stabilisation. C’est sur base de leur perception de ce que sera le futur, qu’ils vont déterminer leur niveau de consommation et d’investissement aujourd’hui. Dans le cas où les signaux émis par l’environnement politique sont peu rassurants, le comportement des ménages et des entreprises aura tendance à être conservateur, en attendant de meilleures perspectives. La devise sera recherchée pas seulement pour couvrir des transactions économiques, mais aussi pour des motifs de précaution en la considérant comme valeur refuge.

WAK : Comment calcul-t-on, par quel ratio déterminer que l’économie a connu un impact négatif sur base d’incertitude politique…?

ADM : Il existe plusieurs manières de le quantifier objectivement. Prenons par exemple le solde global des opinions des chefs d’entreprises produit par la Banque centrale du Congo.

Le solde Globale veut dire quoi ? C’est tout simplement que la BCC mène des enquêtes auprès des chefs d’entreprises pour savoir les perspectives de court terme en termes d’investissement.
L’incertitude est aussi traduite par le solde global des opinions des chefs d’entreprise qui affiche une tendance baissière. La détérioration profonde et continue de ce solde depuis juillet 2019, le traduit un certain pessimisme des opérateurs économiques sur les perspectives de court terme.

WAK : ….troisième facteur…

ADM : Le troisième facteur à épingler est la déconnexion entre le budget voté et celui exécuté. Nous avons voté un budget de plus de 11 milliards de dollars américain alors que dans l’exécution c’est très difficilement que nous tablons sur la moitié. Cette déconnexion crée des pressions sur les dépenses, qui sont de nature à remettre en question la capacité de l’autorité de la politique budgétaire à ne pas recourir aux avances de la Banque Centrale du Congo, et donc à limiter les tensions pressions inflationnistes dans la mesure où les pressions sur les dépenses se font dans un contexte psychologique du budget voté.

E.T :…Et le quatrième facteur….

ADM : Le quatrième facteur est tout aussi important, il concerne la politique budgétaire. C’est l’incapacité relative de l’autorité budgétaire à déployer ses outils de politique, considérant la structure déséquilibrée de nos dépenses publiques. Savez-vous qu’au moins 75% des recettes collectées sont affectées aux rémunérations ? Si on ajoute à cela le remboursement de la dette extérieure qui est tout à fait contraignant, la moyenne mensuelle des dépenses contraignantes tournera autour de 96%.Il en reste que quatre pour cent des ressources pour gérer l’ensemble des problèmes de la république.

E.T : Les quatre facteurs justifient-ils l’environnement d’absence ou de la faiblesse de résilience de notre système économique, ne pensez-vous pas qu’il est temps de lancer ce processus

ADM : Je pense que c’est sérieux. On ne peut pas prétendre développer un pays comme le nôtre avec des finances à flux tendu. Avec moins de 4 % de marge tous les mois, je crois qu’il faut faire des arbitrages douloureux entre l’urgent et l’essentiel. Mais à force de négliger l’essentiel pour l’urgent, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel.

WAK : Revenons au troisième facteur, il est étonnant que le gouvernement qui a voté un budget dans un contexte sans Covid-19 et qui vit aujourd’hui les conséquences de la maladie n’ait pas le courage de rentrer au parlement pour un collectif, vie-t-il dans l’hypocrisie ?

ADM : Votre question semble avoir des allures économiques, mais au fond elle a des allures politiques. Il faut préciser que l’agenda du gouvernement répond à des impératifs d’ordre technique, de fois aussi d’ordre politique. Un collectif budgétaire nécessite quand même une certaine cohésion de vue, une cohérence des actions et un consensus entre les différents acteurs, vous connaissez la configuration particulière actuelle. Donc, il n’est pas aisé de mettre tous les acteurs autour d’une table pour discuter des questions d’ordre économique d’une voix consensuelle. Je rappelle donc que c’est important pour stopper la volatilité du cadre macroéconomique, d’assurer la stabilité politique indispensable à l’implémentation des politiques cohérentes.

WAK : Parce-que nous y sommes dans cette cohésion nécessaire, il y a quand même une rumeur persistante d’une certaine opinion qui estime que tout ceci procède d’un sabotage de l’action du président de la république ?

ADM : C’est une question qui relève de la perception des uns et des autres sur la géopolitique, mais aussi une question à laquelle on peut apporter une réponse en tant que technicien.

WAK : Ça signifie que le Ministère des finances est loin de cette complicité, et n’est ni témoin de ce sabotage ?

ADM : Vous savez le prestige de l’argentier national est aussi mesuré à la lumière des performances macroéconomiques. Il ne peut pas se saboter lui-même.
Laissez-moi vous dire que si on fait allusion au Ministre des Finances, d’emblée l’hypothèse est à écarter tout simple au regard de son professionnalisme et sa moralité. Mais même si l’on adoptait un raisonnement par absurde pour remettre en cause son professionnalisme et sa moralité, il faudrait encore qu’il dispose des leviers pour implémenter un tel scenario. Les raisons sont ailleurs.

E.T : Ne pensez-vous pas qu’il faut mobiliser plus des recettes afin d’augmenter la capacité du gouvernement… ?

ADM : Tout à fait d’accord…Dans un contexte où le niveau des recettes en termes de réalisation est revu à la baisse, ces dépenses de consommation courante diminuent la capacité de l’autorité budgétaire à user de ses prérogatives de garantir une gestion orthodoxe des finances publiques. Dans une certaine mesure, cette incapacité peut être corrélée avec l’évolution du taux d’inflation et du taux des changes. L’effort de mobiliser plus de recettes passe aussi par une refonte de notre système fiscal pour aboutir à un système mieux optimisé, avec une plus grande assiette. Il faut aussi insister sur l’implémentation courageuse des mesures de lutte contre le coulage des recettes, dans l’objectivité et le respect des règles établies.

WAK : Revenons aux opinions ou alors aux faits. On parle de la privation de l’Etat de ses moyens par la machine à fabriquer des exonérations qui est plus professionnelle et très développée dans notre pays, y a-t-il un lien entre cette dernière et la dépréciation ?

E.T : …Des exonérations avec des chiffres avancés qui donnent des tournures…

ADM : J’attendais que vous poussiez me poser des questions sur la politique monétaire…Qu’à cela ne tienne, il faut d’abord saluer les efforts de rationalisation du secteur. En amont il faudrait préciser aussi que le principe sur les exonérations est annoncé à l’article 174 alinéa 3 de la Constitution : « il ne peut être établi d’exemption ou d’allègement fiscal qu’en vertu de la loi ». À cet effet, nous pouvons recenser près de 19 textes légaux et règlementaires en matière d’exonération et qui ne sont pas en grande majorité le fait du Ministère des Finances. C’est dans ce contexte que devra s’inscrire l’initiative de rationalisation des exonérations. Initiative qui est du reste très appréciable.
Mais c’est un débat important qui s’inscrit naturellement dans l’orbite des réformes structurelles à mettre en œuvre pour renforcer les bons principes et rectifier les abus éventuels. Et les reformes se pensent dans la longue durée, au-delà des contingences du court terme et sur base d’un diagnostic objectif. Le but ici doit être de conjuguer la nécessité de la maximisation des recettes publiques avec l’impératif de préserver l’attractivité économique du pays qui est la vraie contrepartie des allègements fiscaux.

WAK : Vous avez certainement tracé un chemin de compréhension des concepts, élaborer avec beaucoup de pédagogie les causes ou les facteurs à l’origine de cette inflation. Face aux téléspectateurs (lecteurs), pourriez-vous dire que demain il y a espoir que le pouvoir d’achat s’apprécie mieux qu’aujourd’hui, à quelle conditions nonobstant le train des institutions ?

ADM : Je pense qu’il faut garder espoir et faire confiance aux institutions de la République. Aujourd’hui, les causes à cette crise ont été identifiées, elles se passent sur toutes formes de spéculations, des sentiments et d’émotions. A ces causes les solutions sont connues, Il faut désormais travailler sur l’essentiel, aujourd’hui l’essentiel c’est bâtir une vision commune. L’histoire de notre pays nous rappelle que quand le péril nous menace, les principaux acteurs savaient faire bloc pour ensemble trouver des solutions les plus appropriés aux problèmes. J’en appelle à cette cohésion légendaire. La volatilité macroéconomique aujourd’hui n’est pas une fatalité. C’est ne pas non plus la première fois, personnellement je suis convaincu que les hommes ont la capacité dans la diversité lorsqu’ils déploient un leader éclairé et font preuve de patriotisme de trouver des solutions adéquates. C’est dans notre cohésion tant recherché, en dépit de nos colorations politiques que va éclore le bien pour l’avenir de notre nation.: Merci

Propos recueillis WAK
Texte par Paulin Muembo

Click to comment

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

To Top