Politique

Energie en RDC : AL Kitenge : « Plus que les mines, l’électricité est le plus grand levier économique de la RDC »

Le président Félix Tshisekedi a annoncé au cours du Conseil des ministres du 12 juin dernier la tenue prochaine de la réunion des chefs d’Etats du continent sur le projet grand Inga. Le président Congolais veut miser sur le potentiel de ce grand barrage pour faire de la RDC un maillon important pour fournir à une Afrique dont l’industrie est appelée à se développer, l’énergie indispensable à son développement. Voilà qui va donner une autre valeur géostratégique à la RDC, car, selon les experts, l’électricité peut s’avérer un levier économique plus porteur que le secteur minier. Cela est le point de vue de Al Kitenge. Cet expert en économie et stratégie de développement avait répondu à nos questions. L’interview qu’il nous a accordée est antérieure à l’annonce du chef de l’Etat.

GH : Pourquoi depuis plus de 15 ans, les bailleurs des fonds se prononcent pour lancer la centrale Inga III, jusqu’à aujourd’hui, les travaux sont encore au stade de projet ?

Al Kitenge : Pour une simple raison, dont le premier volet est que nous n’avions pas un vrai plan ni pour Inga III, ni Inga II, ni grand Inga. Malheureusement, sur tout le potentiel hydroélectrique et le potentiel solaire, nous n’avions pas un plan. C’est sur la pression extérieure, en l’occurrence la pression des Sud-Africains que nous avons commencé à essayer de structurer un projet. On en a finalement un pour Inga III. C’est celui-là qui a servi aux appels d’offres qui ont fini par sélectionner les chinois et les espagnoles. Encore une fois, Inga III, Inga IV, jusqu’au tout grand Inga, cela ne vaut absolument rien sans un réseau. Souvenez-vous qu’il y avait Mobutu ici qui a fait Inga I et II, c’était à peine 2500 Mégawatts. Tout le monde a appelé ça éléphant blanc. Vous savez, produire de l’énergie, c’est comme aller dans une ferme et produire de la nourriture et si vous n’avez pas un réseau de distribution, cela ne vaut absolument rien. Et donc aujourd’hui, il est de plus en plus clair que l’énergie est considérée au-delà des mines, comme probablement notre plus grand pilier, notre plus grand levier aussi bien financier qu’économique. Et j’espère beaucoup que le personnel politique le comprend ainsi et que nous allons finalement avancer, non pas avec Inga III, mais avec Inga en général et avec le reste du potentiel hydroélectrique.

Quelle est la capacité de production prévue pour Inga III ?

Inga III dans sa nouvelle configuration c’est 11,5 Gigawatts. Toute fois, entre la capacité installée et la production réelle, il peut y avoir des différences, mais si nous pouvons déjà avoir 11,5 Gigawatts, c’est sera très bien. C’e n’est pas forcément un grand projet, lorsque vous savez que le site Inga lui-même, c’est 44 Gigawatts et les experts disent d’ailleurs qu’avec la technologie, on peut facilement atteindre et dépasser les 50 Giga.

Selon nos informations, la capacité de Inga ne dépasse pas les 700 Mégawatts. Sur les 14 turbines installées, 7 sont à l’arrêt. Peut-on déduire que l’immensité et les exigences du travail à abattre, dépasse la capacité financière des Etats Africains ou des institutions financières Africaines ?

Je ne crois pas que le problème soit celui de la capacité financière. Il y a sur le continent des projets qui dépassent les 10, 15, 20, ou 30 milliards sur un seul projet. Le plus important c’est de regarder et se poser la question : est-ce qu’il y a un acheteur derrière, est-ce qu’il est capable d’acquérir le matériel et d’acquérir le produit ? Ici, toute la question est de dire si nous produisons de l’énergie, il faut bien qu’on la vende. C’était ça le problème avec Mobutu. Aujourd’hui, c’est pour cela j’insiste sur le fait que, en même temps qu’on est en train de penser à produire l’énergie, il faut penser aussi avoir un réseau qui distribue là où se trouve le client. Inga et le reste du potentiel hydroélectrique de la RDC, ajouté au potentiel solaire dont nous disposons, n’est pas destiné qu’à la République Démocratique du Congo, c’est bien trop. Il est important que nous ayons une stratégie intégrée qui alimente et développe le continent et qui alimente et développe également l’Europe, parce que si vous arrivez au Maroc et si vous arrivez en Tunisie, vous pouvez donc vous connecter très facilement à l’Europe. Comme vous le savez, l’Europe est un réseau unique, cela sous-entend qu’en fait, on pourra produire l’énergie en Afrique et la vendre en Europe, étant donné que c’est une énergie propre et inépuisable.

Dans un de vos tweets, vous avez estimé que l’exploitation du potentiel électrique de la RDC, permettra au pays de faire un « saut de tigre pour le développement et l’industrialisation ». Pouvez-vous nous en dire plus ?

Nous avons commis une erreur grave au début des années 2000, parce que le pays pensait, d’ailleurs appuyé en cela par la Banque Mondiale, que les mines allaient être le levier du développement de la RDC. Force est de reconnaitre qu’ingénieurs et économistes se sont tous trompés, parce que nous nous sommes rendus compte qu’aussi vite, on a commencé à attribuer des carrés miniers et qui passent en production, on s’est rendu compte qu’on n’avait pas d’énergie. Du coup, l’exploitation minière en grande partie, a été ralentie. Celle qui a continué, a commencé à transporter des produits non transformés, ce qui est dommage. Je reste encore convaincu que l’électricité est le levier fondamental du développement de la RDC. Ce que disais, c’est que, à la différence du secteur minier qui rapporte entre 15 et 20 milliards de dollars par années, en termes de chiffres d’affaires, et qui rapporte au Congo moins de 2 milliards, l’énergie électrique, si on investit dedans, pourra ramener en RDC, un revenu qui dépasse les 200 milliards de dollars. Et si vous faites la comparaison entre 20 milliards et 200 milliards, il n’y a pas photo. Et ça, ce sont des choses qui peuvent arriver dans les dix prochaines années très facilement et progressivement. Si on commence aujourd’hui, dans les dix années qui viennent, il y aura une différence et ainsi de suite. D’abord, parce qu’on aura des investissements qui vont tomber ici et nous aurons l’énergie nécessaire à moindre coût qui pourra attirer des investisseurs industriels qui voudront venir profiter de l’énergie propre et à moins cher. Cela pourra être le démarrage d’une industrialisation à la fois pour les produits dont nous avons les matières premières et pour tous ceux qui veulent transformer des produits semi-finis ici chez nous. Cela doit procéder d’une vision. Je crus entendre que le ministre de l’industrie a mis en place une feuille de route que l’on peut appeler plan stratégique d’industrialisation. Encore qu’il faut lire ce qu’il y a dedans pour savoir quel est le degré de vision qu’il a et quel est le niveau de partage qu’il a avec les scientifiques et éventuellement la société civile pour que cela soit une vision qui nous permette de nous préparer aux 10 ou aux 15 prochaines années.
Si la RDC réussit véritablement à exporter son électricité, elle va développer la puissance géopolitique. A partir du moment où le continent africain dépendra de nous en termes d’énergie, il faut être fou pour penser que tu peux venir déstabiliser la RDC. Et ceci dépasse les dividendes économiques parce que la stabilité du continent dépendra de nous, parce que le développement du continent dépendra de nous et nous serons au cœur de l’attention particulière du monde entier. Je crois ceci mérite que nous jouions notre rôle, que nous donnions au continent ce que nous lui devons et pourquoi pas au monde et que ce dernier rende aux générations futures les remerciements nécessaires pour que brille à jamais notre pays.

Propos recueillis par Patrick Ilunga

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