Economie

Tribune : L’Impôt sur les Revenus Locatifs et les Entreprises dites Immobilières : les revenus des provinces en peril

Par Adélard MATOMBE MASANGA
Economiste – U.C.L. Mons et L.L.N./I.A.G.
Expert en Décentralisation fiscale et Gouvernance locale
Georgia State University, ATLANTA – USA

 

PREAMBULE

La fiscalité relève de la loi. Ainsi, il ne peut y avoir d’imposition ou d’allégement fiscal quelconque que par la loi.
Les entreprises dites immobilières prétendent être exemptées de l’Impôt sur les Revenus Locatifs en évoquant les prescrits des textes légaux et réglementaires notamment l’Ordonnance-Loi n°69/009 du 10 février, le Décret-Loi n°109 – 2000 du 19 janvier 2000 et la circulaire ministérielle n° 0023/CAB/MIN/FIN&BUD/2001 du 9 janvier 2001.

Avant d’entrer dans le fond de ces dispositions légales et règlementaires, il est utile de définir ce que l’on entend par «Revenus Locatifs ». Tout en rappelant que la loi fiscale est de stricte interprétation, les « revenus locatifs » sont donc ceux provenant de la location et/ou sous location des bâtiments et terrains situés en République Démocratique du Congo, quel que soit le pays du domicile ou de la résidence des bénéficiaires. Ils sont donc imposables à l’Impôt sur les Revenus Locatifs.

De plus, l’Ordonnance-loi précitée était prise dans le contexte d’un Etat centralisé où l’essentiel des pouvoirs était exercé par le Pouvoir Central. Les impôts cédulaires étaient donc tous levés par le Pouvoir central à travers la Direction Générale des Impôts. L’Impôt sur les Revenus Locatifs payé par les personnes morales et des personnes physiques commerçantes était de la compétence exclusive du Pouvoir Central ; celui des personnes physiques non commerçantes étant rétrocédé aux provinces.
C’est donc tout naturellement que le Pouvoir Central devait légiférer à sa guise sur cette matière en organisant également les modalités de perception.

LES PRESCRITS DES TEXTES LEGAUX ET REGLEMENTAIRES ORGANISANT L’IMPOT SUR LES REVENUS LOCATIFS

L’Ordonnance-Loi n° 69/009 du 10 février 1969 relative aux impôts cédulaires sur les revenus, telle que modifiée et complétée à ce jour, a fixé ceux-ci en disposant notamment, en ce qui concerne l’impôt sur les revenus locatifs, la base, le revenu imposable, les redevables, le taux et les exemptions.
Comme on peut le constater, cette Ordonnance-Loi dispose, en outre, que les bénéfices de toutes entreprises industrielles, commerciales, artisanales, agricoles ou immobilières sont imposables à l’Impôt sur les Bénéfices et Profits (I.B.P.). Par ailleurs, la circulaire ministérielle n° 0023/CAB/MIN/FIN&BUD/2001 du 9 janvier 2001 relative à l’application du Décret-loi n° 109 – 2000 du 19 juillet 2000 modifiant et complétant certaines dispositions en matière d’impôts cédulaires sur les revenus, est venue contredire, aussi bien les prescrits de l’Ordonnance-Loi n° 69/009 du 10 février 1969 que ceux du Décret-Loi précité en ce que nulle part, ces deux textes n’avaient fait allusion à une quelconque exemption des entreprises immobilières à l’impôt sur les revenus locatifs. L’objet de la circulaire était d’apporter les précisions nécessaires à la bonne application du Décret-Loi susvisé. Pourtant, elle a péché en abordant des matières non contenues, ni dans ce Décret, ni dans l’Ordonnance-Loi précités.

Ainsi donc, l’incise suivante contenue dans la circulaire… « par ailleurs, ne sont concernés par l’imposition à l’impôt sur les revenus locatifs, les revenus de la location des bâtiments et terrains appartenant aux sociétés immobilières étant donné qu’ils sont imposées à l’impôt sur les bénéfices et profits » est de trop. Elle n’est conforme ni à l’Ordonnance-Loi ni au Décret-Loi su évoqués. Elle vient de manière inattendue « introduire » ce que la loi n’a pas disposé. Cette incise n’a donc de base légale et est, par conséquent, contra legem.

En effet, comme stipulé dans l’Ordonnance-Loi, les bénéfices des entreprises précitées sont tous imposables à l’impôt sur les bénéfices et profits. De ce fait, l’explication fournie par la circulaire pour justifier l’exemption des entreprises immobilières à l’impôt sur les revenus locatifs, n’est pas pertinente et peut être assimilée à un abus de droit car, interprétant une matière non évoquée par les textes légaux de base.

A ce niveau, il est clairement perçu qu’il n’y a aucune exemption d’une quelconque catégorie d’entreprises précitées à l’impôt sur les revenus locatifs.
Avant de revenir sur d’autres conséquences éventuelles de la circulaire, il est utile de rappeler que l’Ordonnance-Loi 69/009 du 10 février 1969 s’appuyait sur la constitution de 1964 dite « de

Luluabourg ». Malgré tout, ce texte reste pertinent même si certains contribuables et administrations n’en ont pas fait bon usage.
Comment comprendre que lorsque l’Ordonnance-Loi précitée stipule que « les bénéfices des entreprises industrielles, commerciales, artisanales, agricoles et immobilières sont imposables à l’Impôt sur les Bénéfices et Profits », on en déduise que les entreprises immobilières ne sont pas concernées par l’Impôt sur les Revenus Locatifs parce que soumis à l’IBP ? Si tel était vraiment le cas, il devrait en être de même des autres catégories d’entreprises citées ci-haut. L’article 12 de l’Ordonnance-Loi traite des exemptions à l’Impôt sur les Revenus Locatifs et n’a nulle part cité les entreprises immobilières. Aussi, le Décret-Loi 109 – 2000 a modifié certains articles de cette Ordonnance-Loi sans toucher à l’article 12. Il est donc évident qu’il n’existe à ce jour un seul texte de loi consacrant l’exemption des entreprises immobilières à l’Impôt sur les Revenus Locatifs. Les compétences étant d’attribution, la loi ne reconnaît pas à une circulaire l’autorité de compléter ce qu’elle n’a disposé. Les conséquences sont moins graves lorsque les revenus de ces entreprises sont imposés par la même Entité à l’IBP même si cela crée une injustice fiscale par rapport aux autres catégories d’entreprises.

LA CONSTITUTION DE 2006 ET SES EFFETS

Quoiqu’il en soit, tout ce qui précède était organisé dans un contexte où l’Impôt sur les Revenus Locatifs était une recette de la compétence du pouvoir central à part celui des personnes physiques non commerçantes qui était rétrocédé aux provinces.

La constitution de 2006 instituant un nouveau mode de gestion de l’Etat, a clairement réparti les compétences entre les entités en disposant notamment que l’Impôt sur les Revenus Locatifs est de la compétence exclusive des provinces.

En effet, en son article 204, alinéa 16, la constitution dispose clairement que « les impôts, taxes et les droits provinciaux et locaux, notamment l’impôt foncier, l’impôt sur les revenus locatifs et l’impôt sur les véhicules automoteurs sont de la compétence exclusive des provinces.

L’article 205 quant à lui précise bien qu’une Assemblée provinciale ne peut légiférer sur les matières de la compétence exclusive du pouvoir central et, réciproquement, l’Assemblée nationale et le Sénat ne peuvent légiférer sur les matières de la compétence exclusive d’une province.

Comme on peut le constater, ces dispositions règlent définitivement le problème décrié en ce que le pouvoir central ne peut plus disposer sur quoique ce soit en ce qui concerne les revenus des provinces. Dans ce même cadre, le forfait entretenu par la circulaire ministérielle 0023/CAB/MIN/FIN&BUD/2001 réputé de nul effet, cesse de créer toute confusion.

Enfin, l’article 221 vient abroger toutes autres dispositions contraires en matière notamment de l’Impôt sur les Revenus Locatifs tout en maintenant celles conformes en stipulant : « pour autant qu’ils ne soient pas contraires à la présente constitution, les textes législatifs et règlementaires en vigueur restent maintenus jusqu’à leur abrogation ou leur modification »

En dépit de tout ce qui précède et les compétences des Entités clairement exprimées, il s’observe que la plupart des entreprises dites immobilières continuent à se résigner à payer l’impôt sur les revenus locatifs à la Ville de Kinshasa au mépris des textes légaux et règlementaires. Bien plus, certaines entreprises autrefois en règle avec la Ville de Kinshasa, se sont récemment transformées en « entreprises dites immobilières » tout en arrêtant unilatéralement de remplir leur obligation fiscale auprès de celle-ci.

La régie financière de la Ville, dans sa mission de mobiliser les recettes, poursuit sans relâche les assujettis incriminés qui s’en remettent, pour la plupart, à la Direction Générale des Impôts. Celle-ci les appuie en brandissant la circulaire ministérielle décriée car dénuée de tout fondement légal en la matière, en dépit du fait que l’Impôt sur les Revenus Locatifs n’est plus un revenu du Pouvoir central selon la constitution en vigueur.

Dans ce contexte, la Ville de Kinshasa connaît un énorme manque à gagner qui se chiffre en des centaines de millions de dollars alors qu’elle fait face à de défis majeurs à relever sur le plan aussi bien des infrastructures que de la salubrité.

Enfin, il est utile de rappeler que les autres entités et la population locale continuent à pointer du doigt la Ville de Kinshasa qui peine à moderniser son espace alors que la prolifération d’immeubles observée devrait lui procurer des ressources conséquentes. A cette allure, que les entreprises réfractaires s’apprêtent à subir la loi dans toute sa rigueur car l’alarme a assez retenti et la Ville de Kinshasa tient à rentrer dans ses droits.

L’Impôt sur les Revenus Locatifs est l’impôt le plus porteur pour la Ville de Kinshasa mais son rendement s’est sensiblement amenuisé du fait de cette évasion fiscale massive qui n’a plus de raison d’être.

Geopolis Hebdo

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